Mais de quoi se plaint Kurt O'Reilly ? le héros du livre de
Fabio Bacà a tout pour lui : il est jeune, beau, riche, marié à une autrice à succès, responsable de service au siège londonien de l'Office national de statistique. Et comme si cela ne suffisait pas, il traverse une période de chance indécente où tout lui sourit. Depuis deux ou trois mois, les événements de sa vie s'enchaînent parfaitement de manière presque scandaleuse. Des taches dans son oeil gauche devraient être le signe d'une tumeur maligne comme dans la très grande majorité des cas, mais pour lui, c'est sans danger. Son conseiller financier lui fait gagner des sommes considérables dans des opérations boursières, les filles le dévisagent avec envie, les chauffeurs de taxi lui font cadeau de ses déplacements. Il est « habité » par une fortune incroyable et mystérieuse où de manière subtile, chaque situation, même la plus tragique, apporte richesse et bonheur. Mais pour Kurt, ce n'est pas normal. Cette chance insolente doit cacher quelque chose.
L'idée au départ de ce roman m'a intrigué et poussé à le lire. Il est plutôt convenu que la quête d'un héros doit se heurter à des obstacles, que sa vie est pleine de problèmes à régler. Mais ici,
Fabio Bacà renverse la perspective commune et se débrouille pour instiller de l'angoisse dans l'esprit de son héros en raison justement de sa vie réussie. Pas par gout du risque, non, mais par gout de l'imprévu, pour lutter contre un destin tout tracé, une vie trop bien réglée. Cette idée originale pour démarrer le récit qui met en avant l'obsession de contrôle de nos sociétés pour éliminer l'inattendu m'a grandement plu et intéressé.
Mais bien vite, des sujets de mécontentement sont apparus. Tout d'abord le cadre londonien de l'histoire. La ville est mal évoquée, peu présente, avec si peu d'identité et de relief que l'histoire pourrait se dérouler tout à fait ailleurs. Les rues, les bâtiments sont juste bien nommés et bien placés comme dans Google Maps, mais le reste manque d'authenticité, de profondeur, de sensation, d'odeur, de couleur. Londres qui aurait pu être un vrai personnage du récit est juste une banale toile de fond.
Les personnages humains quant à eux ne manquent pas d'intérêt même s'ils sont un peu tous construits sur le même modèle : ils sont excentriques, brusques, directs, parlent vite. Leur identité anglaise est peu affirmée. Certains m'ont plus emballé que d'autres avec en tête le Dr Leone. Plus gênant, les femmes sont souvent réduites à leurs charmes physiques avec, pour appuyer le discours, une citation de
Polanski : « On ne peut pas embrasser toutes les femmes. Mais il faut essayer. » Toujours à propos de
Polanski, j'ai également noté l'utilisation fort complaisante par l'auteur de l'expression « exercice maladroit » pour parler d'abus sexuel sur mineur.
Et puis, il y a l'histoire qui, bien qu'ayant un excellent point de départ, s'enroule totalement sur elle-même et devient labyrinthique. J'ai failli me perdre dans les tours et détours du récit qui mise trop sur une intrigue à rebondissements que sur une histoire bien construite. Mais le rythme soutenu, l'écriture vive, l'histoire qui frise avec l'absurde ou le surréalisme et enfin, l'épilogue inattendu m'ont permis d'aller jusqu'à la dernière page de ce roman. Je dirais pour résumer qu'"
Une chance insolente" est un roman avec une idée de départ original, une histoire qui s'enlise un peu, mais qui m'a surpris à la fin. En somme, un récit insolite et joueur qui ne manque pas de qualités... et de défauts.