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Critique de lanard


Dès qu'il fît paraître son Petit Panthéon portatif en 2008 aux éditions de la Fabrique, comme pour se mettre en conformité avec l'étymologie (philo = amour) de sa discipline, Alain Badiou nous apparut travaillé par l'impérieuse nécessité de manifester de l'amour. Il s'ensuivit une série de livres d'éloges (qui ne sont pas sans rappeler la mode éditoriale des Dictionnaires amoureux…).

L'éloge des mathématiques est un livre d'entretiens, le troisième de cette série d'éloges. Il marque la volonté du philosophe d'orner de clous d'or la châsse dans laquelle il entend enfermer les gemmes d'un système (le sien) dont il professe la vocation universelle ; après un éloge de l'amour, suivi d'un éloge du théâtre voici un éloge des mathématiques.

Lorsqu'on n'est pas mathématicien, faire l'éloge des mathématiques n'est pas sans risque ; on aura l'air de manquer de modestie, pire on vous qualifiera d'élitiste. L'attitude générale face aux mathématiques voudrait qu'on en médise – même si le nombre considérable de ceux qui soutiennent n'y rien comprendre auront toujours l'air d'attaquer les maths avec la rancoeur du renard de la fable des raisins verts ; peu de matheux doués affectent de les mépriser sauf pour dénoncer certains abus de leur utilisation (en économie politique particulièrement). Il faut noter que la critique des mathématiques ne porte généralement pas sur l'activité intrinsèque du mathématicien (qui dépasse le commun des mortels) mais sur le statut que la société confère aux maths: discipline survalorisée à l'école, elle est un outil de sélection scolaire considéré comme arbitraire ; par ailleurs, une certaine logique des chiffres est accusée de meurtrir la vie économique et sociale. Par devers elles, ce qui est dénoncé c'est un latin de technocrate; le Diafoirus du 21ème siècle s'exprime en équations.

Alain Badiou ouvre son éloge avec un appel angoissé : il faut sauver les mathématiques! de quoi ? de l'attitude aristocratique du milieu des mathématiciens qui sentirait trop le renfermé ; seule la philosophie pourrait sauver les maths de l'asphyxie à laquelle ses adeptes l'exposent. Après tout, en leur temps, Descartes et Leibniz n'étaient-ils pas à la fois des philosophes et des matheux de première force ? Badiou, fils de professeur de mathématiques, revendique – non pas le statut de mathématicien mais une compétence particulière car il étudia les mathématiques pendant deux ans à la Sorbonne. Mais ne fait-il pas fi de la complexité d'un champ disciplinaire foisonnant dont la tentation monolithique (totalitaire?) qui prévalait aux temps glorieux du groupe Bourbaki semble désormais dépassée: ce temps n'est plus où l'on voulait fonder LA Mathématique car aujourd'hui on continue de parler DES mathématiques. L'activité mathématique est aujourd'hui un foisonnement disparate, hétéroclite, mélangé à d'autres réalités (les maths appliquées) qui fait dire au mathématicien Didier Nordon que "les mathématiques pures n'existent pas" ? N'est-il pas tenté de réduire les mathématiques à l'activité d'un sous-système de son propre écosystème social ; le monde universitaire et académique – duquel Alain Badiou semble inquiet d'obtenir quelque reconnaissance ?

Toutefois son attachement aux mathématiques s'enracine dans un souci plus profond de vérité. A double titre : tout d'abord, pour Badiou le principe de la reconnaissance par les pairs rend impossible l'imposture en mathématiques; parce que les mathématiques sont d'abord une affaire de mathématiciens, elles sont à l'abri des impostures – contrairement à la philosophie régulièrement compromises par les modes éditoriales (Badiou évoque avec amertume la gabegie des « nouveaux philosophes »). D'autre part, parce que ce principe de vérité est au coeur de l'activité mathématique elle-même. Et c'est bien ce principe de vérité qui uni toutes ces pratiques disparates dispersées dans l'histoire et la géographie de la discipline ; ce mot mathématiques - dont l'origine grecque est contingente - réunit rétrospectivement des hommes de l'antiquité méditerranéenne, de l'ancienne Chine et de l'Inde et aujourd'hui une communauté mondiale de chercheurs. Pour Badiou, l'internationale des mathématiciens est la plus solide internationale qui soit. C'est la raison pour laquelle, il faut la prendre au sérieux et qu'il serait bon de ravaler toute rancoeur afin que les mathématiques entrent dans notre vie autrement que sous la forme de ce cheval de Troye au fond duquel est tapi une sorte de dictateur abstrait qui pense à notre place – dont l'algorithme est devenu l'emblème.

Marxiste revendiqué, Alain Badiou est dialecticien dans le sens le plus modeste de ce terme ; puisque ce petit livre est un dialogue. Mais il a surtout l'esprit de système. La vision des mathématiques de Badiou est celle d'un homme ayant besoin de trouver un fondement aux choses. Autant le mathématicien a la manie de tout démontrer ; le philosophe entend tout justifier ; même les mathématiques. Or, il ressort que philosophiquement (dans ce cadre Alain Badiou revendique le terme aujourd'hui en discrédit de métaphysique) les mathématiques nous apparaissent sous deux aspects antagonistes qui retrouvent la vieille opposition médiévale du réalisme et du nominalisme. Dans l'optique réaliste les objets mathématiques existent avec un degré de réalité égal aux autres objets de l'univers ; ils constituent des essences, des sortes de faits premiers à toute appréhension par l'esprit. Pour le nominalisme l'activité mathématique est une manifestation sophistiquée du langage, une élaboration du monde, un constructivisme. Sous ce rapport, il convient de citer Alain Badiou plutôt que le trahir : « Mon but est de sauver la catégorie (philosophique) de vérité qui [ ... ] distingue et nomme [les vérités scientifiques, esthétiques, politiques ou existentielles] , en légitimant qu'une vérité puisse être : - absolue, tout en étant une construction localisée ; - éternelle, tout en résultant d'un processus qui commence dans un monde déterminé (…) et appartient donc au temps de ce monde. »

L'enjeu principal d'un tel débat est politique. Une politique minée dans ses fondements par un mauvais relativisme qui serait, dans le meilleur des cas l'alibi d'une certaine paresse intellectuelle ou, dans le pire des cas un outil de domination. Il songe à faire un éloge de la politique.
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