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Citations sur Le parti pris des animaux (7)

LE VISIBLE EST LE CACHÉ

Chaque animal habite le réseau des apparences à sa façon, c’est-à-dire qu’il s’y cache. La cachette est la règle d’or de l’habitation du monde où, pourtant, tout finit par se voir.
[…]

Un territoire, c’est une aire où se poser, où chasser, où errer, où guetter – mais c’est aussi et peut-être premièrement une aire où l’on sait où et comment se cacher. C’est ce qui est si intensément et si scrupuleusement décrit dans « Le terrier » de Kafka.
Ne plus avoir la possibilité de se cacher, être soumis sans rémission à un régime de visibilité intégrale, c’est à cela que le zoo condamne les animaux qui y sont enfermés. La « cage » est le contraire absolu du territoire non seulement parce qu’elle ne comporte aucune possibilité de fuite et d’évasion, mais d’abord parce qu’elle interdit le libre passage de la visibilité à l’invisibilité, qui est comme la respiration même du vivant.
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Singes

Le plaisir qui vient des animaux
de leur existence
— du fait qu'ils existent —
vient d'abord de ce qu'ils ne sont pas comme nous
de ce qu'ils sont différents :
ce n'est pas seulement que nous partagions le monde
avec eux
avec d'autres êtres donc, qui le regardent et le traversent
qui y vivent et y meurent
c'est qu'ils vivent, auprès de nous ou loin de nous
chats ou chauve-souris
chiens ou tigres
ou singes
« dans d'autres mondes »

or entre tous les animaux le singe a cette particularité
on le sait bien
d'être de nous le plus proche
et ce statut de presque humain
d'humain non abouti, ou raté,
le prive de ce qu'il est
lui-même et pour lui-même
pas une « altérité » présentée sans fin et sans finesse aux hommes
comme un miroir déformant
mais une différence
un départ
pas « un » départ
mais des départs différents
des vies différentes, distinctes
selon les espèces
et les individus qui les composent

ainsi, au lieu de considérer tout ce qui chez le singe
s'approche
devrions-nous considérer tout ce qui chez lui
s'éloigne
ainsi, au lieu de prendre la mesure de ce qu'il sait
ou saurait faire
plus ou moins bien
plus ou moins comme nous
à savoir : compter, reconnaître des signes,
se regarder dans un miroir, se servir d'un outil, etc.
devrions-nous peut-être admirer tout ce qu'il fait
et que nous ne savons pas faire, pas faire du tout
tout ce qui de façon certaine constitue son langage et son monde
un monde de plaisirs et de peurs,
de bonds et de retraits
dont nous n'avons même pas idée
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SUR LE VIF

C’est l’été, la nuit, sur un petit port de Bretagne, à marée basse.
[…]
Tout est retenu et comme en attente, mais dans une attente étale, qui ne comporte ni impatience ni menace et où le silence, complet, évoque un très ancien souvenir que la Terre aurait d’elle-même. Là-dessus, exactement comme des notes sur une partition, mais des notes qui seraient mobiles et écriraient de petites arches éphémères, l’effraction d’un événement lumineux et sonore, qui se répète et dure un certain temps, comme une sorte de ballet aléatoire : ce sont de très petits poissons qui sautent ici et là, dans un périmètre pourtant circonscrit, y formant le dessin recommencé de légères trajectoires argentées griffant à peine l’étendue, mais en tous sens. L’accompagnement sonore est celui de ces plongeons filants, rapides, qui éclaboussent à peine. Au bout de quelques minutes tout s’éclipse, il n’y a plus rien.
Ici, rien, aucun contact, seulement le spectacle, lointain, d’une agitation nocturne éphémère, un passage d’êtres qui ne configure pour nous aucune espèce de familiarité ou de connivence, même furtives. Et pourtant, ce que l’on éprouve alors, c’est une joie, mais elle est difficile à décrire : en effet, si d’un côté on peine à la relier à l’affect, on résiste en même temps à la caractériser de façon strictement esthétique, là où, pourtant, son efficace a été très grande, tant sur le plan plastique que sur le plan sonore. Mais alors si ce spectacle nous émeut, à quoi, à quels ressorts s’adresse-t-il en nous depuis sa lointaine objectivité ? Je crois que l’on peut répondre en disant que ce qui se déploie devant nous, alors, c’est le vivant comme tel […] Rien d’exceptionnel sans doute (même si rien ne s’est passé le lendemain lorsque nous sommes revenus sur les lieux dans l’espoir que le phénomène se reproduise), mais dans ce très peu et dans cet effleurement, dans cette danse, un affleurement de l’existence à elle-même, une production d’intensité, un avènement suspendu hors de toute intention, comme une simple effervescence, ou un tourbillon : un remous, mais qui a lieu hors de nous, et qui, n’échangeant rien avec nous, advient, donnant simplement consistance à la vie, mais selon sa vivacité, sa fraîcheur, son endurance.
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La cage est le contraire absolu du territoire non seulement parce qu'elle ne comporte aucune possibilité de fuite et d'évasion, mais d'abord parce qu'elle interdit le libre passage de la visibilité à l'invisibilité, qui est comme la respiration même du vivant.
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La surprise et la joie que les animaux existent et, par conséquent, l’inquiétude face à l’hypothèse, se vérifiant hélas un peu chaque jour, de la disparition d’un grand nombre d’entre eux – tels sont les motifs de ce livre.
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Vivre (...), c'est pour chaque animal traverser le visible en s'y cachant : des animaux, la plupart du temps, on ne voit qu'un sillage et l'espace de nos rencontres avec eux, lorsqu'ils sont sauvages, est toujours celui de la surprise et de la déception. Ils surgissent, ils sont dans l'ordre du surgi, mais rarement pour qu'à partir de là un déploiement soit rendu possible et s'enclenche. L'affect de la rencontre avec eux reste lié aux régimes de l'irruption, du suspens bref et de la fuite. Au caché, d'où ils viennent, ils retournent, et souvent le plus vite possible, avec une incroyable et élégante dextérité. Avant même que la chasse ne s'informe des modes infiniment variés et des vitesses de cette dissimulation, il semble que la véridicité du monde animal ait eu à s'établir, pour elle-même, sur ce fond glissant de fuites et de refuges : les territoires, qu'on peut définir comme des surfaces arpentées et, donc, comme des surfaces où chaque animal s'expose, peuvent en même temps être considérés comme des réseaux de cachettes et comme l'espace même de la dissimulation. Un territoire, c'est une aire où se poser, où chasser, où errer, où guetter – mais c'est aussi et peut-être premièrement une aire où l'on sait où et comment se cacher.
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Au commencement de toute considération sur les animaux il y a ou il devrait y avoir la surprise, la surprise qu'ils existent. Qu'il s'agisse de ceux qui nous semblent les plus exubérants ou au contraire de ceux qui nous sont les plus familiers, ceux que nous connaissons bien ou croyons connaître : un chat, par exemple, ou un bœuf. Il suffit en effet d'un bref écart dans le régime des rêveries ou des pensées pour que le chat, selon sa vitesse, ou le bœuf, selon sa lenteur, s'écartent à leur tour, et infiniment, du régime d'évaluation où nous les avions consignés. Cet écart par lequel ils paraissent à nouveau comme ce qu'ils sont, selon la pure parution de leur être intégralement enveloppé dans leur apparence, cet écart n'est pas le produit de l'affect : peut-être prépare-t-il la frange où l'affect pourra revenir et germer, mais c'est d'abord comme un détachement – il y a une surface d'étonnement où la pensée glisse toute seule devant ce qu'elle voit, qui est alors ce qu'elle a cessé de rapporter à une conduite ou à une fin.
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