Depuis qu’il y a des gens sur terre, ce n’est que guerre après guerre. Interrogez n’importe quel vieux, demandez lui ce qu’il a vécu, il vous répondra sans hésiter : il y a eu la guerre. Telle ou telle guerre et puis encore telle ou telle autre. Ensuite seulement, il ajoutera que les gens vivaient comme ci ou comme ça après la guerre, […]
(Pocket, p.262)
Souviens-toi de ce que disait le grand-père Yokoubas : les gens ne pardonnent pas ce qu’ils ne comprennent pas. Sois comme tout le monde, et on sera avec toi comme avec tout le monde.
(Pocket, p.36)
À côté d’elles, l’airelle des marais exposait au soleil ses baies couleur d’acier, les buissons bas de myrtilles étendaient leur noir bleuâtre à perte de vue, la vigne du Mont-Ida éparpillait les perles de ses airelles rouges, tandis que les joues des mûres toutes grêlées de petite vérole se chauffaient et rougissaient au soleil… Le Karaïbalé était saoul de chaleur, opulent et repu.
(Pocket, p. 180-181)
Et les vieux disaient que ce Douoba n'était sûrement pas quelqu'un de bon : quand les chiens et les enfants se sauvent en voyant quelqu'un, on peut donner sa tête à couper que ce quelqu'un-là n'est pas bon.
On n'échappe pas à soi-même. Quand on n'est pas bien dans sa peau , on est bien nulle part.
Bien sûr, c'était la guerre et à la guerre, un homme n'est plus le même. Pendant la guerre, on peut parfaitement s'attendre à tout de la part d'un homme. mais à ça tout de même ? Peut-on croire que l'on puisse fusiller un homme seulement parce qu’il a le nez plus long que les autres ou parce que ses cheveux ne sont pas comme les autres ?
Les gens labouraient la terre, semaient du seigle, payaient des impôts, réparaient les routes, donnaient leurs fils à l'armée après les avoir élevés. Il y avait un pouvoir, et quand il y a un pouvoir, il y a les impôts, les routes, les fils à envoyer à l'armée - c'est comme ça quand il y a un pouvoir, quel qu'il soit. C'est toujours comme ça quand il y a pouvoir.
C'est ce que beaucoup pensaient. Youza tout comme eux. Il pensait aussi qu'il avait bien fait de venir vivre sur le Kaïrabalé. Tous ceux qui étaient passés un jour ou l'autre par la Lituanie, quels qu'ils aient été, jaunes, gris et même verts, étaient passés par les villages et les bourgs. Là où il leur était plus facile de marcher ou de galoper. Et aussi de se servir à l'œil de ce dont ils avaient besoin pour pouvoir marcher ou galoper plus loin. C'était comme ça. Mais le Karaïbalé, tous le laissaient de côté...
Et sur la pierre de sa tombe, sous son nom et son prénom: Je fus qui tu es, tu seras qui je suis.
Dans toute la Lituanie, dans le monde entier, sous les pieds de chaque vivant, dort peut-être un homme. Dort un homme.
La ferme d'un homme , c'est comme une ruche : on n'a jamais chez soi ce qu'on a préservé et fait fructifier.