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Critique de davidomi


Se pose à moi une question face à une immensité : par où entamer l'ascension d'une oeuvre de plus de 80 romans, avec des destinées qui se croisent, des personnages que l'on retrouve ici et là. Avec la résolution du guide de créer non pas juste une suite de sommets, mais un monde, un univers, pas un massif mais une chaîne. Et pas juste en se « contentant de romancer », mais en oeuvrant comme un quasi scientifique (sociologue ? Anthropologue ? Voire entomologiste ?)
Par où entamer telle ascension ? En choisissant la voie chronologique ? En y entrant par les plus fameux de ces sommets ? Et si l'on s'engage, doit-on en parcourir chaque étape, y passer alors des années ? Quid alors de tout ce que la littérature mondiale a à offrir aux gens assoiffés de voyages et rencontres ? Ou est-il possible d'entrer en Balzaquie ici où là, juste en touriste inexpérimenté et mal équipé qui ne connaît les cimes qu'en images ou par ouï-dire ? Et prétendre quand même alors, n'y faisant qu'une ballade, entrevoir ce que peut être cet Himalaya ? Peut-on alors présumer un avis sur une oeuvre en simple touriste, sans en connaître toute la circonférence, sans décennies d'études littéraires ?
Je réponds juste « oui » (de ma cabane flottante quelque part sur un fleuve de France, de ma vie de SDF atypique qui se balade aux grès des rencontres et imprévues…) parce que après tout c'est Balzac qui a cette arrogance extraordinaire de me proposer sa lecture !
Et ce n'est pas parce que le monde est fait d'une multitude de lieux, de pays, d'îles et continents, que l'on ne peut pas faire le globe-trotteur juste ici... Qu'il ne s'agit jamais d'un engagement à faire le tour entier de la comédie humaine, le tour d'un monde... alors…

Il est de belles écritures avec lesquelles on s'ennuie pourtant fermement, de belles lettres qui ne disent rien, ni de l'émotion, ni du sens, ni de l'aventure. Pas ici. Pas avec Balzac.
Dans « le Père Goriot », on a pas juste de belles et longues phrases (non pas qu'on les voulut longues, convaincus que c'est là le secret d'une « grande littérature » façon auteurs aujourd'hui, mais parce que c'est ainsi qu'elles devaient être et que leur cadette sera elle toute menue) mais de l'aventure, de l'action, du suspens, de l'envie de tourner les pages, (Balzac, page turner?) de savoir où toutes ces vies entrecroisées vont mener ces insectes éblouis… On est au théâtre parfois, avec de longues tirades comme celle du Père Goriot sur son lit de mort (véritable cabotinage ! ) , au cinéma quand la caméra s'approche lentement d'une façade.
Le Père Goriot s'ouvre par la présentation de la pension Vauquier... avec une impression de mouvement de caméra qui fait d'abord un grand angle pour situer la demeure dans son quartier, puis à travers des plans de plus en plus serrés , précis... La description en question doit faire une dizaine de pages, mais l'écriture est si nourrie que les pages passent sans la moindre difficulté : le plaisir est déjà là.
Vient ensuite le temps de présenter les personnages. Et là encore ! Que de romanesque, de regard acéré sur le fourmillement de tous ces êtres... car il faut bien admettre qu'il y a pas grand monde "à sauver" dans cette faune parisienne !
Il nous présente donc décors et personnages "haut en couleurs", tout en faisant en parallèle des commentaires sur cette "comédie humaine"... Avec ici et là quelques interpellations directes du lecteur, comme un acteur dans un film qui s'adresserait directement aux spectateurs, enfreignant ainsi toutes les règles de bienséances cinématographiques...
Le discours de Madame de Beauséant à Rastignac sur le « comment réussir à Paris » résume à lui tout seul tout ce qu'il y a de sales, de pervertis, dans ce tout Paris de bienséance. Toute la souillure derrière une aristocratie des apparences et une bourgeoisie pourrie. Personne ne semble y être à sauver (sauf peut-être le fameux Trompe-la-Mort, bagnat et brigand en fuite, assassin, voleur et manipulateur)
« Vous saurez alors ce qu'est le monde, une réunion de dupes et de fripons ».
« Aller dans le monde et porter des gants propres »
Tous ces personnages « glorieux » », si pressés de faire vengeance du mépris qu'ils ont l'impression de constamment subir, dans tous regards, paroles et actes, participent allègrement de cette boue sauvage, malodorante, ils sont incapables de voir que c'est eux-mêmes qui créent la boîte de Pétri pour la mise en culture du mépris de classe, ce mépris aristocratique, qui lui donnent son importance et sa réalité. Chacun y travaille à son propre malheur.
C'est en ça que je ne suis pas entré totalement dans le roman, tant cet univers est loin du mien : avec juste deux doigts de sagesse, juste un pas de côté, ils auraient pu savoir que pour ne pas souffrir de ce manège infernal, il suffit de ne point y monter. Que les vers se moquent bien de l'ambition et de la « réussite », du lustre, des banquets et des bals auxquels on a enfin été invités, quand le seul banquet qui nous attend se passe trois pieds sous terre. Que cette « postérité » n'a que le goût de la viande avariée. Cette « haute » société » qui n'a de grande que dans le regard des êtres rampants autour qui rêvent d'en faire partie, qui en acceptent avidement les codes immoraux et l'injustice. Vient alors cette peur, cette terreur du « déclassement « des parvenus », l'aversion totale de la vie simple qui ne se réclame de rien et ne réclame rien, où en guise d'ambition suprême, il y a juste celle de regarder le soleil se lever sur sa cabane, synonyme pour eux de pauvreté et déchéance...
Tout ici, au final, n'est question que de narcissisme chez ces personnages grotesques, de ce qu'ils n'ont jamais su s'arracher de ce qu'on leur a appris, de ce qu'on leur a dit, au regard de la société, de cette absence sans faille du soupçon, du doute, les normalisations à l'oeuvre, il en va des mouvements de troupeaux comme des mouvements de vagues : plutôt être misérable au sein du troupeau qu'à sa lisière heureuse.
Des gens qui ne doutent pas, comme en témoigne la lettre de Rastignac aux siens pour demander de l'argent, sans détour, sans pudeur et sans réel remord. Ou comme le discours de Vautrin sur la façon de « réussir » en écrasant les autres. Au nom d'un idéal dérisoire et misérable (tenter de « faire sa place » dans le marécage des « hautes sphères sociales »)
Quid du sage, des humbles, des « gens simples » qui ne recherchent ni le sucés, ni la gloire, ni la lumière, ni même le regard d'une société, et dont on fait rarement récit ?
Malgré toute l'acuité, la profondeur de l'oeuvre, Je m'étonne de ce qu'il a de fascination De Balzac pour ce monde qu'il ne cesse de vilipender, sur ces corruptions qui ressemblent très certainement aux siennes, au point d'en faire l'oeuvre d'une vie. Son obsession.
L'auteur s'inclue-t-il dans cette détermination à «réussir» coûte que coûte, en utilisant les autres, en les écrasant, en les trompant ?
Quel que soit l'ampleur de cette comédie humaine, c'est au final un regard limité à un monde, comme si l'auteur ignorait une autre façon de vivre, loin de ce tumulte, loin de ces simagrées sociales et humaines. Comme si la simplicité d'une vie, sans ambition dévorante, démesurée, sans cette volonté farouche et ininterrompue de faire partie de « la haute société » n'existait pas.

Si encore aujourd'hui toute cette comédie humaine, cette foire ridicule, est pleinement d'actualité, elle n'est que le malheur de ceux qui y croient, qui s'y noient, à vouloir vaincre une « condition première méprisable » : « s'élever » ! On peut vivre loin de cette vanité humaine...
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