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Critique de michfred


Les interminables pages sur la pension Vauquer avec lesquelles Balzac campe -ou plutôt installe- le décor, sont les 40èmes rugissants du Père Goriot: passé le pensum de cette longue description, c'est une belle traversée et le lecteur aguerri peut jouir du voyage...

J'aime tellement le livre et j'aime tellement Balzac désormais - mon premier contact, trop tôt, avec Eugénie Grandet, a été un coup d'épée dans l'eau- que même la description de la pension Vauquer, avec ses pensionnaires répartis en strates sociologiques obligeamment expliquées et surlignées par l'auteur, a pour moi un charme magnétique: essayons de le faire partager...

Eugène de Rastignac a quitté sa province charentaise et vient tenter sa chance à Paris. Il est jeune, plein d'idéaux et de principes, plein de fougue et d'empathie.

Il est pauvre aussi et plein d'ambition : c'est pourquoi il est installé à la fameuse pension Vauquer, perchoir sordide pour oiseaux de passage ou nid discret pour grands prédateurs, avec vue sur la houle parisienne... plus vous êtes haut dans les étages, plus vous êtes bas sur l'échelle de la réussite: notre étudiant crèche en hauteur, inutile de le préciser!

Sa tante lui conseille de faire un beau mariage: d'"arriver par les femmes" - comme on conseillerait la route des alizées à un coursier des mers...

Le Père Goriot c'est donc un roman de formation, encore un, mais contrairement à la formation lente, machinale et sans événement d'un Frédéric Moreau chez Flaubert, ou à la lente consomption d'un amour interdit pour le jeune Félix dans le Lys du même Balzac, la formation de Rastignac va se faire au pas de charge, à la hussarde : Eugène n'est pas un colimaçon comme Félix, ni un mollasson comme Frédéric: c'est un gascon, et il a du répondant!

Dans la pension - vous voyez comme elle est importante, on y revient toujours, ne sautez pas les pages, persévérez!- se trouve un négociant en bonneterie, le Père Goriot, sorte de Christ de la paternité , vrai pélican pour ses deux filles, Delphine et Anastasie, qui le spolient allègrement et consciencieusement de ses biens pour éponger leurs dettes, vaquer à leurs plaisirs, entretenir leurs amants, vivre leur vie.

Plus elles le dépouillent, plus le malheureux vieillard monte dans les étages de la pension, devenant le souffre-douleur et la risée de tous.

Rastignac se prend d'affection et de pitié pour le vieil homme et rencontre ses filles... L'une, la blonde Dephine, épouse du baron de Nucingen, navigue dans le milieu de la haute finance, et l'autre, la brune Anastasie, devenue comtesse de Restaud, dans la faune huppée de l'aristocratie parisienne. Rastignac tombera sous le charme de l'une et deviendra l'amant de l'autre, mais sans perdre la tête pour autant. En revanche il joue,il gagne et sauve Delphine de la déroute puis il perd. Beaucoup.

Tentera-t-il une nouvelle carte, que lui propose l'inquiétant Vautrin - un rapace de haut vol, pensionnaire mystérieux de madame Vauquer, - qui le prend sous son aile protectrice et lui conseille la timide Victorine Taillefer,- tiens, tiens, une autre pensionnaire- mais millionnaire potentielle? Il suffit juste de tuer son frère.

Vautrin est dénoncé comme forçat en cavale par une pensionnaire - vous l'aviez deviné, non?- , et arrêté, mais le frère de Victorine meurt quand même, assassiné dans des circonstances obscures...

Le père Goriot apprend la ruine financière et le scandale qui menacent ses deux filles -Anastasie doit vendre ses diamants pour sauver son amant Maxime de Trailles- Il a un malaise et meurt bientôt, abandonné de ses filles qui n'assistent pas à son agonie, ne viennent pas à son enterrement et y pourvoient encore moins....

Rastignac qui lui a lui fait donner des soins, le veille, l'enterre. Il n'a même pas le sou qu'il faut donner au fossoyeur.

Le tour de force de Balzac est d'avoir concentré dans cette narration alerte, menée grand train, nombre d'événements violents, marquants, de personnages vénéneux, amoraux, mais, avant de les lâcher dans le monde, face à face, et de les regarder se déchirer à belles dents, il les a fait mijoter au préalable dans le chaudron de sorcière de la pension Vauquer.

Lenteur de la décoction, réaction explosive du mélange. La parfaite alchimie romanesque!

Même jeu d'antithèse pour les personnages: douceur et abnégation du personnage éponyme, le pauvre Père Goriot, cynisme et cruauté de son entourage.

Quant au jeune Rastignac, cette leçon de vie expéditive l'aura instruit mieux que de longues années d'apprentissage.

Un grand fauve est né.Le voilà prêt à entrer dans la jungle parisienne.

Oui, décidément, il faut lire attentivement et relire, je dirais même se délecter, se pourlécher de la description de la pension Vauquer: ce grouillant microcosme est la matrice même du roman...
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