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Critique de Ys


Ys
01 septembre 2016
Une vieille maîtresse, c'est le trio classique de l'homme partagé entre l'ange et la sorcière, entre l'idéal et le monstre, entre l'esprit et les sens - mais de manière joliment ambiguë jusque dans la défaite finale.
Au centre, il y a Ryno de Marigny, un homme qui a, comme on dit, déjà beaucoup vécu, affligé d'une réputation de Don Juan de salon en partie justifiée, un homme ardent à l'amour et volage, sans cruauté pourtant mais fatal, et fatalement déformé par le prisme des esprits mesquins.
Face à lui, la blonde Hermangarde qu'il s'apprête à épouser, fille de noble famille, belle, pure, entière comme le sont tous les anges, profondément éprise de ce futur mari qui l'adore comme on adorerait une icône capable de renverser toutes les autres idoles.
Derrière, la brune Vellini, qu'il a aimée autrefois, à qui l'ont lié dix ans de vie commune, un sortilège de sang, un désir charnel jamais vraiment éteint. Vellini, fille adultérine d'une duchesse espagnole et d'un obscur torero, à demi courtisane, plus toute jeune, moricaude, laide, violente et sensuelle comme le sont les sorcières, détentrice d'un pouvoir que l'homme cultivé des salons parisiens ne sait comprendre mais ressent dans tout son être.
Après dix ans de passion, Ryno n'aime plus Vellini et Vellini n'aime plus Ryno. Les choses entre eux sont claires, et très sincèrement, Marigny s'estime capable de se ranger enfin comme parfait époux d'Hermangarde. Mais quel homme saurait lutter contre la fatalité - ce joli nom que l'on donne aux faiblesses de l'âme et du coeur ou aux pouvoirs de l'inconscient ?

Il a suscité bien des analyses, soulevé bien des critiques, ce roman que son auteur a pu considérer comme une condamnation de l'empire des passions quand de nombreux contemporains y voyaient un texte immoral, peignant beaucoup trop bien ce qu'il prétend condamner - tout particulièrement de la part d'un auteur affirmé catholique ! Belle réponse de Barbey, d'ailleurs, qui dans sa préface de 1866, très engagée et passionnante, revendique le droit des artistes catholiques à peindre l'âme humaine telle qu'elle est, jusqu'aux excès et les séductions des passions et à laisser le lecteur en tirer ses propres conclusions, plutôt que se cantonner aux fadeurs débilitantes des textes édifiants. Réactionnaire jusqu'au bout des ongles, Barbey l'était toutefois avec panache, bien loin de l'image de moralisme étriqué qu'on attache souvent aux milieux légitimistes de son temps.

Le résultat est un texte à la fois très symbolique et très juste, riche de ses ambiguïtés comme l'est au fond la vie, ouvert aux interprétations de chaque sensibilité et dépourvu de toute morale facile. L'ange et la sorcière, d'ailleurs, s'ils ont tous les attributs de leur rôle, sont loin d'y rester étroitement cantonnés.
Angélique, Hermangarde est loin d'être mièvre, c'est avant tout un caractère dont la grande fierté et l'extrême sensibilité peuvent être vus comme trop exigeants, incapables de s'accorder aux dualités de son époux, de comprendre les faiblesses fondamentales de cet homme si fort et si fondamentalement humain.
Quant à Vellini, malgré son indolence lascive et sa superstition qui en font, a priori, une intelligence médiocre, malgré ses caprices bizarres et son caractère volcanique potentiellement assez pénible, c'est aussi une femme honnête et franche, capable de tout entendre et de comprendre beaucoup, jamais vénale, parfois cruelle par colère mais dépourvue de toute réelle méchanceté, capable d'une véritable compassion vis à vis de ses rivales malheureuses.
La dualité morale entre elles deux doit tout autant au regard de la société et à l'attitude de Ryno qu'à leur seul caractère, à leur seule nature. Barbey lui-même le souligne dans une autre préface : "La vieille maîtresse eut été sa vertu, s'il l'avait épousée, et en ne l'épousant pas, il en a fait son vice !" Et au lecteur d'aujourd'hui qui soupirerait de ces sempiternelles oppositions entre vice et vertu, on peut répondre que l'opposition entre raison et déraison en matière amoureuse reste, elle, de toute éternité !

Le roman est un peu inégal - après une première partie assez impeccable, la seconde peine parfois à trouver son rythme et s'empêtre dans quelques longueurs. le mélodrame y est aussi plus présent, parfois peut-être un peu facile. Mais la puissance de tout cela n'en reste pas moins forte, grâce à des symboles forts, à de très beaux personnages (et je n'ai même pas évoqué mon préféré, la délicieuse grand-mère d'Hermangarde, esprit élevé, audacieux, généreux, dont l'effacement entraîne un inéluctable déclin, comme la disparition de l'esprit d'Ancien Régime sonne, pour l'auteur, le début de toute décadence). Tout cela porté, enfin, par une langue très raffinée et très précieuse, une langue de cabinet de curiosité qui n'appartient qu'à Barbey et s'épanouit dans de superbes descriptions de la côte normande.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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