Citations sur Le champ des soupirs (28)
Elles galopaient sur le sable mouillé et brillant, puis elles ôtaient les selles et se baignaient avec leurs montures. C'était merveilleux. Les chevaux pénétraient timidement dans l'eau, en levant haut les jambes, et faisaient de petits sauts de côté devant les vaguelettes. Puis, quand ils avançaient un peu plus loin, ils cambraient leur cou, s'ébrouaient et enfonçaient leur nez dans la houle verte. Leurs flancs mouillés devenaient glissants. Et soudain, dans un élan sauvage, ils s'abandonnaient à la mer, ils plongeaient en toute liberté, ressortaient de l'eau et s'y vautraient. Les embruns frappaient le visage de Janet, le vent lui coupait le souffle, elle s'accrochait à la crinière ; air et eau, terreur et extase. Elle aurait pu mourir ainsi, sans s'en apercevoir, chevauchant les messagers invisibles de l'atmosphère.
Vous allez pénétrer dans un monde de manteaux en tweed qui grattent, d'austères nounous sévères, de soeurs cadettes d'une perfection exaspérante, d'animaux domestiques excentriques et d'immenses châteaux glacials. Un monde où les filles ne sont considérées que comme une "forme inférieure d'un garçon" et où le rigorisme calviniste est souligné par la nature sauvage et séduisante des paysages des Higlands.
Elle était la première personne sur terre ; elle seule venait troubler la rosée. Sur le trajet du retour, elle découvrait des merveilles cachées : trois bébés hérissons se régalaient d'une bogue de marron pourrie ; une biche et son faon croisaient son chemin, tranquilles, plongés dans leur monde. Un jour, elle tomba sur une étendue de Phallus impudicus, qui brillaient d'un éclat blanc et joyeux dans l'herbe tendre, un festival d'elfes priapiques ou un hommage à une reine des fées.
Les vents furieux de l'aube se déchaînaient sur Auchnasaugh, gémissant entre les arbres et secouant les carreaux des fenêtre. Enfin, ils battirent en retraite vers le nord, emportant avec eux l'esprit de Janet, bien loin de l'amour et du chagrin, jusqu'à ce que leur éloignement se confonde avec le soupir de la mer dans un coquillage.
L'appel solitaire d'une chouette, qui l'enchantait autrefois, la transperçait d'effroi maintenant. L'inhumanité de l'homme vis-à-vis de l'homme et des animaux dominait un monde où régnaient une anarchie cruelle et le déshonneur. Seuls les arbres, les collines et le ciel nocturne conservaient leur beauté pacifique, ‘contemple le firmament étoilé’. Elle dénicha un globe terrestre qu'elle emporta dans sa chambre. Assise par terre, elle l'étudiait en pleurant. Sans savoir pourquoi elle pleurait. (p. 203)
L’inhumanité de l’homme vis-à-vis de l’homme et des animaux dominait un monde où régnaient une anarchie cruelle et le déshonneur. Seuls les arbres, les collines et le ciel nocturne conservaient leur beauté pacifique, « contemple le firmament étoilé ».
La cuisine était le seul endroit d'Auchnasaugh qu'elle évitait. Outre la présence aigrie et le cuir chevelu inquiétant de Miss Wales, outre Jim avec son pantalon taché de sang, ses mains incrustées de terre, de sang et de mort, son couteau de poche sur la lame duquel étaient collés des poils et des restes de viscères, il y avait presque toujours un grand récipient émaillé contenant de l'eau salée qui virait au rose pâle. Dans cette eau trempaient deux lapins écorchés et décapités, semblables à des foetus, des innocents massacrés, exposés à tous les regards. Le lendemain, pendant qu'on les obligeait à manger leur ragoût de lapin, dehors, derrière les portes-fenêtres, sur la rive escarpée où un millier de jonquilles joyeuses dansaient dans la brise du printemps, les lapins gambadaient sans se douter de rien.
Une écharde, un minuscule éclat de cristal de glace, s'était logé dans son coeur.
Elle reconnaissait en elle un dégoût des gens, à la fois physique et intellectuel, et , en même temps, elle nourrissait le désir secret et honteux d’être admirée, ou du moins acceptée. Désir inassouvi.
« Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse », disait le proverbe, et cela signifiait : « Ne demandez rien, on ne vous donnera rien, et personne ne vous demandera rien non plus. »