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Citations sur Le souverain (14)

Le pur bonheur


Suicide

Le pur bonheur est dans l'instant, mais de l'instant présent la douleur m'a chassé, dans l'attente de l'instant à venir, où ma douleur sera calmée. Si la douleur ne me séparait de l'instant présent, le "pur bonheur" serait en moi. Mais à présent, je parle. En moi, un langage est l'effet de la douleur, du besoin qui m'attelle au travail.
Je veux, je dois parler de mon bonheur : de ce fait un malheur insaisissable entre en moi : ce langage - que je parle - est à la recherche d'un futur, il lutte contre la douleur - fût-elle infime - qu'est en moi le besoin de parler du bonheur. Jamais le langage n'a pour objet le pur bonheur. Le langage a l'action pour objet, l'action dont la fin est de retrouver le bonheur perdu, mais elle ne peut l'atteindre elle-même. Puisque heureux, je n'agirais plus.
Le pur bonheur est négation de la douleur, de toute douleur, fût-ce de l'appréhension de la douleur, il est négation du langage.
C'est au sens le plus insensé, la poésie. Le langage entêté dans un refus, qu'est la poésie, se retourne sur lui-même (contre lui-même) : c'est l'analogue d'un suicide.
Ce suicide n'atteint pas le corps : il ruine l'activité efficace, il y substitue la vision.
Il y subsiste la vision de l'instant présent, détachant l'être du souci de ceux qui suivront. Comme si la suite des instants était morte, qui ordonne la perspective du travail (des actes dont l'attente change en subordonné l'être souverain, qu'éclaire le soleil de "l'instant présent")
Le suicide du langage est un pari. si je parle, j'obéis au besoin de sortir de l'instant présent. Mais mon suicide annonce le saut dans lequel est jeté l'être libéré de ses besoins. Le pari demandait le saut : le saut que le pari prolonge en un langage inexistant, dans le langage des morts, de ceux que le bonheur ravage, que le bonheur anéantit.
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Un

Rien n’est plus nécessaire et rien n’est plus fort en nous que la révolte. Nous ne pouvons plus rien aimer, rien estimer, qui ait la marque de la soumission. Pourtant tout entier, le monde dont nous sortons, dont nous tenons ce que nous sommes, a vécu un interminable agenouillement : cette origine nous prévient qu’à nous laisser mener sans méfiance par nos sentiments les plus sûrs, nous pouvons glisser d’une humeur autonome et capricieuse à ces jugements courts dont le verbalisme subordonne l’esprit de ceux qui les forment. Il n’est pas moins contraire à la révolte de subir, au nom d’un principe d’insoumission, le mécanisme des mots, que de s’incliner naïvement devant telle force souveraine. Tout le passé aurait-il été asservi ? et tout serait-il fier dans la haine ou l’envie que couvrent nos refus ?
La plus lourde misère inhérente à notre condition veut que jamais nous ne soyons désintéréssés sans mesure – ou sans tricherie – et qu’en dernier lieu, la rigueur, fût-elle âprement voulue de nous, est encore insuffisante. L’esprit de l’homme a trop de profonds replis où même il ne servirait pas de s’attarder : car les vérités qui s’y découvrent n’égarent pas moins que les apparences honnêtes.
Dans ces conditions difficiles, nous ne pouvons que rire ou craindre, mais un rire insidieux est plus droit qu’un tremblement : au moins veut-il dire que nous n’avons pas de refuge et que nous refusons gaiement d’être joués.
Ceci, j’avais à le dire d’abord. En effet, je ne puis faire que la « prétention » de la révolte ne se lie, de près ou de loin, à ce que dissimulent d’inavouable les replis d’une âme humaine, mais je me ris et je crois qu’avec moi l’esprit révolté se rit, fût-ce un jour dans le tremblement, de ces interminables pesanteurs : je ris comme je l’ai dit d’un rire heureux, mais que mon ardeur veut souverainement « insidieux ». Le propre de la révolte est de ne pas se laisser soumettre aisément. Je puis me mettre moi-même en cause, douter de ma bonne foi. Mais je ne puis laisser l’esprit soumis me rappeler l’autorité qui l’incline. J’assume ici bien légèrement la prétention de la révolte, qui est de ne rien reconnaître de souverain au-dessus de moi (quand ma solitude mesure à perte de vue l’obscurité de l’univers), et de ne plus attendre une réponse venant d’un silence sans défaut.

Un désir d’exactitude à l’instant me guide qui ne peut s’accorder à ce soulagement qu’en des conditions de nudité, d’abandon, de non-sens, je trouverais à me prosterner devant un pouvoir rassurant. Un état de passion m’interdit de ne pas laisser monter librement le sanglot qui parfois me brise à me sentir seul ici de la solitude qui fait la mort, si elle frappe qui nous aimions : je ne connais que cet instant nu immensément gai et tremblant, que même un sanglot ne peut retenir.
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Il existe un point à partir duquel il n'y a rien à dire : à ce point nous arrivons plus ou moins vite, mais définitivement, si nous y sommes parvenus, nous ne pouvons plus nous laisser prendre au jeu.

Je n'ai rien à dire contre le jeu. Mais le croire sérieux? Mais disserter gravement sur la liberté, ou sur Dieu ? Nous n'en savons rien, et c'est nous en parlons, c'est un jeu.
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Commencé au XVIIIe siècle, ce renversement fondamental [la révolution industrielle] ébranla les sociétés les plus avancées ; il s’étendit de nos jours à la Russie ; il pourra demain s’étendre à la Chine. C’est la conséquence d’une subversion des principes qui président à la vie économique ; nous passons du primat des œuvres souveraines, lié à la prédominance agraire et à l’ordre féodal, au primat de l’accumulation. (…). Il s’agit moins de savoir si [l]es moyens de production sont, individuellement, la propriété des bourgeois ou, collectivement, celle des ouvriers : ce qui importe en premier lieu est la multiplication des moyens de production, l’accroissement de la somme globale des forces productives d’un pays. Sur le plan de la structure économique, c’est l’essentiel de la différence entre la société féodale et la société industriellement développée
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Ce que la Raison n'avait d'abord ni défini ni limité limitait la Raison. La Violence ne pouvait elle-même ni se définir ni se limiter. Mais la Raison, dans son attitude raisonnée vis-à-vis de la Violence, la parachève : elle porte à hauteur de Violence la rectitude de la définition et de la limite. Ainsi a-t-elle seule, humainement, le pouvoir de désigner la Violence démesurée, ou la Démesure, qui, sans la mesure, ne serait pas.
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J'ai parlé dans la mesure où je tremblais! Mais mon tremblement me dérobait. Que puis-je dire s'il est vrai que, sans terreur, je n'aurais rien su et que, terrifié, toutes choses m'échappaient.
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La joie la mort


Si l'on me demandait "qui je suis", je répondrais : j'ai regardé le christianisme au-delà d'effets d'ordre politique, et j'ai vu dans sa transparence; à travers lui l'humanité première saisie d'une horreur devant la mort à laquelle les animaux n'avait pas accédé, en titrant les cris et les gestes merveilleux, où s'exprime un accord dans le tremblement. La punition et la récompense ont fait l'opacité du christianisme. Mais dans la transparence, à la condition de trembler, j'ai retrouvé le désir, en dépit de ce tremblement, d'affronter l'impossible en tremblant jusqu'à la fin. Le premier désir...
Dans la reproduction, dans la violence des convulsions dont la reproduction est l'issue, la vie n'est pas seulement la complice de la mort : c'est la volonté unique et double de la reproduction et de la mort, de la mort et de la douleur. La vie ne s'et voulue que dans le déchirement, comme les eaux des torrents, les cris d'horreur perdus se fondent dans le fleuve de la joie.
La joie et la mort sont mêlées, dans l'illimité de la violence.
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Je ne puis dire ce que le silence où j'entre a de souverain, d'immensément généreux et d'absent, même pas dire : il est délectable, ou odieux. Ce serait trop ou pas assez.
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Car la rage de posséder avait fait de l'intelligence le contraire d'un rire, une pauvreté dont rient sans fin ceux qu'enrichit leur folle générosité.
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La révolte a ébranlé et ruiné ce qui dans le fond des âges avait eu le ton capricieux de l'autorité, et rien ne reste de souverain, donné au dehors, qui puisse nous donner le "violent désir" de nous incliner. Comment ces voix lasses auraient-elles encore un pouvoir de nous briser? A peine est-il possible de rêver un refuge, un séjour rassurant dans ces ruines : elles sont majestueuses, et parfois elles accueillent ceux qui n'en peuvent plus d'affronter un monde qui leur semble en entier hostile. Rien en vérité ne demeure et rien dans l'univers n'apparaît qui puisse rassurer ou guider l'existence incertaine de l'homme. nous ne pouvons que nous donner à nous-même la gloire d'être à nos propres yeux cette vision insensée, risible et angoissante : ainsi dans la nuit dernière où nous sombrons, la possibilité nous est laisse de nous savoir aveugles et de tirer du refus que nous opposons à ces bribes de savoir qui nous assottent une vertu : celle de nous éveiller sans mesure à cette nuit et de nous dresser, vacillant ou riant, angoissés, égarés dans une intolérable joie!
Mais sans doute devons-nous éviter de parler étroitement d'une expérience encore à venir. Tout au plus est-il permis de dire qu'apparemment le "révolté souverain" se situe aussi bien à la suite des extases des saints qu'à celle des licences de la fête... Mais le souci de s'effacer et discrètement de s'en aller à l'obscurité, qui est son domaine, lui revient. Si l'éclat poétique lui est lié, si le discours prolonge en luis ses dernières et précises clartés, sa vie néanmoins donne sur un versant opposé où il semble que le silence et la mort se sont définitivement établis. A coup sûr, dans la pleine négation qui suit la ruine de toute autorité, nous n'avons plus de vérité que dans l'instant. Mais l'instant dont la vérité seule nous touche, et ne peut cependant être niée, jamais ne sera mieux l'instant qu'étant le dernier (sinon lorsqu'il sera celui du denier homme...) Encore écarterai-je avant de me taire la possibilité d'un plat malentendu : il n'y a de place dans ce tableau pour rien de lourd ou d'orgueilleux, la réputation de la mort est surfaite, le silence dont je parle est gai. la révolte est le plaisir même, et c'est aussi - "ce qui se joue de toute pensée"
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