Elle rôdait autour de lui depuis deux semaines. Cette nuit-là, elle prit possession de son corps. Elle le pénétrait, tantôt doucement en le laissant somnoler, puis elle resserrait son étreinte en l'agitant de spasmes. La mort s'emparait du roi de Jérusalem.
Les physiciens de la cour chuchotaient dans la chambre d'Amaury Ier pendant que le soleil déclinait.
- Il n'aurait jamais dû consulter les médecins arabes.
- Leur science n'est pas moins bonne que la nôtre.
- Peut-être, mais ils sont infidèles.
Un mal de ventre l'avait terrassé alors qu'il conduisait l'armée pour des opérations de routine sur le plateau du Golan, près de Damas. Ramené à Jérusalem sur une litière, il n'avait plus quitté la citadelle de David. La graisse qui formait sur son corps des replis disgracieux avait fondu. Flasque, il gisait sur sa couche maculée, au milieu des souillures. Tout juste âgé de trente-huit ans, il avait l'air d'un vieil homme. Les praticiens royaux décelaient les signes d'une mort prochaine.
- Il se vide par le bas et par le haut. Ce sera sa dernière nuit. Laissons-le avec les siens.
Ils se signèrent et se retirèrent en marchant à reculons.
Le crépuscule avait éteint les ors de Jérusalem. On entendit sonner le carillon léger de la chapelle voisine, puis le bronze de la basilique. Dans sa chambre, il n'y avait plus que les êtres auxquels Amaury était uni par la chair et le sang : ses enfants et ses deux femmes successives. Sa seconde épouse, la reine Marie, se blottissait dans un recoin, sur un tabouret, loin du lit, déjà reléguée, secouée de sanglots qu'elle étouffait pour se faire oublier. Elle n'aurait bientôt plus le droit d'être dans cette demeure. Elle se voûtait comme une proscrite, chassée par le retour de la première épouse, la redoutable Agnès.
[C'est Raimond qui parle, p. 330]
"Toute ma vie aura été inutile. Je voulais la paix pour ce pays qui est le nôtre, mais qui n'est pas que le nôtre. Et voilà que nous allons faire la guerre. Pas une escarmouche, pas une bataille. Une guerre à mort, comme nos aïeux il y a près de cent ans quand ils arrivaient ici en croisade. Si nous perdons, nous serons jetés à la mer. Si nous gagnons, il faudra à nouveau cent ans pour rétablir la confiance".