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Critique de Nastasia-B


C'est la crise, n'est-ce pas ? C'est l'angoisse : les feux partout, le pouvoir d'achat en berne, des perspectives bien moins réjouissantes que celles de la Renaissance italienne. Bref, autant de bonnes ou de mauvaises raisons de ne pas partir en vacances (je vous laisse soupeser et assaisonner à votre sauce la part du non vouloir et du non pouvoir). Et donc, vous risquez d'être fort dépourvus : qu'allez-vous raconter à vos collègues, à votre famille, à vos amis, quand la bise sera venue ? Rassurez-vous, j'ai la personne et le livre qu'il vous faut !

On sait déjà que Pierre Bayard aime beaucoup prendre son lecteur à rebrousse-poil, jouer avec les paradoxes. En effet, ses essais ou analyses sont toujours stimulants à lire, car ils tentent de bousculer les idées reçues : vous pensiez connaître le fin mot du Meurtre de Roger Ackroyd ? du Chien des Baskerville ? ou, plus récemment, des Dix petits Nègres ? Point de tout cela, le chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, pourfend toutes vos certitudes en la matière.

Concernant l'acte même de la lecture, il nous enseigne — aussi incroyable que cela puisse paraître — l'art de ne pas lire tout en ayant l'air de l'avoir fait dans son ouvrage demeuré le plus fameux : Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ?

Ici, vous aurez compris qu'il s'agit d'une habile déclinaison de la formule avec Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? Évidemment, le postulat est apparemment paradoxal, mais, mais, mais, et c'est là tout l'art de Pierre Bayard, apparemment seulement.

Dans une première partie, l'auteur nous offre une sélection d'oeuvres ou d'auteurs demeurés célèbres en qualité de voyageurs, ou, plus précisément, en qualité de rédacteurs de récits de voyage, ce qui, on le verra, n'est pas exactement la même chose. Car, il est vrai, quand on y réfléchit, qu'est-ce qui nous prouve que celui qui dit avoir voyagé a effectivement voyagé ?

La Chine de Marco Polo ? Hmm, c'est louche… Jules Verne, qui nous a légué tant de récits de voyages au travers de ses héros ? Encore plus louche… Édouard Glissant et son Île de Pâques ? En voici un, au moins, qui nous dit ouvertement qu'il n'y a jamais mis les pieds. L'Amérique de Chateaubriand ? Très étrange, décidément…

Ensuite, après ce bref panorama, Pierre Bayard nous présente — et c'est là que c'est assez osé, je trouve — différentes situations où il peut être intéressant de donner le change, de faire illusion, de donner à son lecteur ou à son auditeur l'impression que l'on a effectivement parcouru les lieux dont on parle (hormis le cas sus-mentionné de n'être pas parti en vacances) : vous êtes scientifique, par exemple, (anthropologue notamment), vous êtes journaliste, vous êtes sportif (et vous voulez faire croire que vous avez accompli tout le périple quand tel n'est pas le cas), ou, plus immoral s'il est possible, vous souhaitez tromper des membres de votre entourage (pour toutes sortes de raisons, souvenez-vous du " héros " de l'horrible fait divers raconté par Emmanuel Carrère dans L'Adversaire). Eh bien oui, vous êtes conduits à parler de lieux où vous n'êtes jamais allés.

Si l'on se résume : 1) cela existe ; 2) vous pouvez être amenés à devoir le faire, donc, assez logiquement 3) comment vous y prendre ? Selon Pierre Bayard, il convient tout d'abord de bien cerner ce qu'attend celui ou celle qui va écouter ou lire vos discours : sa bienveillance vis-à-vis de vous tiendra à ce que vous aurez su ou non écouter et retranscrire dans votre soi-disant expérience les fantasmes ou les attentes de cet autre.

En second lieu, vous devez prendre de la hauteur afin de déceler l'esprit du lieu, plus que le lieu lui-même. Ensuite, ne pas hésiter à créer un composite entre ce que vous savez du lieu (par d'autres sources que votre expérience propre) et la part assumée de votre subjectivité. Plus votre expérience paraîtra personnelle et plus elle sera convaincante.

Il existe un quatrième point dans l'analyse de Pierre Bayard, qui, personnellement, m'a très peu convaincue (toujours les vieux démons de l'auteur où il nous fourre de force sa psychanalyse foireuse dans le gosier) et que je vous laisse le soin de découvrir par vous même. Il demeure pour moi un ouvrage assez intéressant, certes, peut-être pas autant que d'autres que j'ai déjà pu lire du même auteur, mais de cela comme du reste, ce sera à vous de décider, car, ce lieu précis de ma propre subjectivité, où vous n'êtes jamais allés, ne signifie manifestement pas grand-chose.
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