Commençons par la quatrième de couverture : "Un virus a fait disparaître la quasi-totalité des animaux de la surface de la Terre. Pour pallier la pénurie de viande, des scientifiques ont créé une nouvelle race, à partir de génomes humains, qui servira de bétail pour la consommation. Ce roman est l'histoire d'un homme qui travaille dans un abattoir (…). le tour de force d'
Agustina Bazterrica est de nous faire accepter ce postulat de départ sans difficulté. Elle y parvient en nous précipitant dans un suspense insoutenable, tout en bouleversant notre conception des relations humaines et animales. '
Cadavre exquis' est un roman tout à la fois réaliste et allégorique, d'une brûlante actualité."
Je vois plusieurs petits problèmes avec ce résumé : tout d'abord, pourquoi prétend-il que les scientifiques auraient créé une "nouvelle race" ? Est-ce que c'est moi qui ai mal suivi ? Pour moi il s'agit d'humains dont certains, mais pas tous, sont génétiquement modifiés, mais dans tous les cas, ça reste des membres de la race humaine... Ensuite, je ne vois pas où est le suspense insoutenable, dans ce livre qui n'est pas un thriller, et je ne vois pas non-plus en quoi il est "d'une brûlante actualité", à moins qu'on vive dans une société officiellement cannibale et que l'information m'ait malencontreusement échappé ?
Hormis cette quatrième de couverture un peu bizarre, le roman raconte bien l'histoire d'un homme qui travaille dans un abattoir. Dans cette société, tous les abattoirs sont spécialisée dans le traitement de la viande humaine, puisque les animaux ont été exterminés, à cause d'un soit-disant virus qui les aurait rendus tous empoisonnés, et tous mortellement dangereux pour l'homme, en cas de morsure ou de griffure. le personnage principal n'y croit pas, le narrateur semble également infirmer cette explication officielle, et bien entendu, l'histoire prend tout son sens si on souscrit à la théorie du complot selon laquelle l'extermination des animaux aurait été provoquée par les dirigeants de la société afin de créer une société cannibale, dans le but de réguler la surpopulation et de régler les problèmes de surconsommation, de manque de ressources etc... Bien sûr, c'est une méthode complètement stupide, et pour ma part, je doute fortement que les gouvernements ne soient pas capables d'inventer quelque-chose de plus intelligent, moins coûteux et plus efficace, s'ils voulaient résoudre ce genre de problèmes. le seul élément qui ne colle pas avec cette théorie présentée par le personnage principal, c'est que si le but est de réguler la surpopulation, pourquoi ne pas abattre davantage de membres de la société civile, plutôt que de faire se reproduire des têtes de bétail ?
Mais ce qui est intéressant, et qui l'aurait été beaucoup plus, à mon avis, si l'autrice ne s'était pas contenté de l'effleurer, c'est le sujet de la manipulation des masses, qui acceptent des théories farfelues comme celle de ce virus, sans se poser aucune question, puis qui accepte de croire qu'il n'existe aucun autre moyen que de manger de la viande humaine pour vivre en bonne santé, et même que les végétaux auraient un "côté obscur", toujours sans se poser la moindre question. le côté dystopique de ce livre n'est abordé que par son côté horrible et dérangeant, des images d'êtres humains élevés en battrie, dépecés, découpés, utilisés pour des expériences toutes plus horribles les unes que les autres... J'en profite pour dire un mot au sujet des commentaires qui disent que le plus gros défaut de ce roman est d'être trop gore. je cite juste un petit extrait d'un commentaire pour illustrer mon propos : "Les descriptions faites par l'auteure sont effroyables et, à mon avis, prennent trop de place dans le roman et sont exagérément gores, un peu moins aurait suffi à rendre compte." Selon moi, au contraire, retirer cet élément du livre lui ferait perdre le peu d'intérêt qu'il avait encore, de part son côté dérangeant. le côté descriptif de la façon totalement déshumanisée avec laquelle on considère le bétaille dans ce récit est son élément le mieux réussi. le retirer ne laisserait qu'une coquille vide dénuée du moindre impact. Tout ceci est intéressant comme extrapolation et métaphore de notre société, et du traitement que l'on fait subir aux animaux, mais ça s'arrête là. Aucune réflexion poussée sur la manipulation des masses, et aucune réflexion tout court sur les classes sociales, sur la manière dont on choisit les humains qui sont envoyés en laboratoire ou utilisés pour la reproduction, et qui sont bien sûr tout en bas de l'échelle sociale, ou qui l'étaient, tout du moins, avant que les élevages ne voient le jour, tandis que les riches peuvent acheter des têtes vivantes qu'ils gardent chez eux, pour les découper quand bon leur semble tout en les maintenant en vie...
Au lieu de ça, on suit la vie d'un personnage qui, certes, occupe une position qui nous permet de connaître le fonctionnement des abattoirs, des boucheries, des tanneries, des laboratoires etc, mais qui est assez inintéressant en tant que tel,
puisque sa relation avec son père, et la perte de son enfant, qui le rendent plus humain, ne le rendent finalement pas si humain que ça, comme on le découvre à la fin du livre. C'est d'ailleurs l'un des éléments que je n'ai pas compris dans ce roman : ça constitue certes un retournement de situation inattendu, mais est-ce qu'il n'est pas inattendu tout simplement parce qu'il est incohérent ? Pourquoi cet homme, qui semblait de plus en plus écoeuré par le traitement qu'on réserve aux têtes dans les abattoires, qui semblait avoir de la compassion même pour des animaux, et qui semblait avoir développé des sentiments vraiment humains pour la femelle qu'on lui avait offerte, décide-t-il tout à coup de l'abattre froidement ? Pourquoi est-ce comme ça que se termine le roman ? Qu'est-ce que ça apporte à l'histoire, excepté le fait de nous surprendre, tellement ça sort de nulle-part ?
En résumé, je trouve que c'est un beau gâchis, d'écrire une histoire à partir d'un concept aussi prometteur, et de ne rien en faire. Il y aurait eu matière à écrire un roman trois fois plus long, avec beaucoup de réflexions sur tout un tas d'aspects de notre société, un approfondissement du côté diystopique et inhumain de celle du livre, un développement de son fonctionnement, de son impact sur les relations interpersonnelles... bref, dommage de ne faire qu'effleurer la surface, et de le faire aussi maladroitement.