Ouvrir le livre de
Stéphane Beauvais revient à être pris par un « ton ». Autant certains ouvrages déçoivent par leur manque de constance, ici avec notre auteur, on entend une voix singulière, typée et originale, au timbre particulier et qui résonne tout au long du livre. Difficile d'ailleurs de définir ce ton qui tient de la mélancolie et du désenchantement, du sarcasme et de l'ironie, ou encore du détachement et de la dérision. Mais on se laisse volontiers prendre par l'inflexion et l'accent de cette voix attachante.
Le genre du livre nous laisse toutefois quelque peu perplexe. On suit le monologue du narrateur qui s'adresse, semble-t-il, à lui-même. le livre tient de ce fait de l'autobiographie. C'est Beauvais juge de Stéphane ; le narrateur interpelle sans cesse son personnage. "Tu" est le pronom personnel réitéré d'une manière continue. le livre tient également de l'essai défendant l'idée que l'écriture est essentielle ; elle est la "vraie vie" pour reprendre la célèbre formule proustienne, d'où ce beau titre "
De l'encre dans les veines". Mais l'ouvrage relèverait encore du roman puisque c'est ainsi que l'éditeur catalogue ce récit et puisque l'on suit quelques-unes des péripéties vécues par le narrateur-personnage dans une sorte de récit d'apprentissage.
C'est un personnage que l'on découvre marginal, rejeté et inadapté au monde des autres (ceux qui vivent dans « l'inessentiel »), un être profondément solitaire, encore animé d'une rage de vivre, de s'affirmer et de persévérer dans sa singularité. Une sorte d'écorché-vif au sang d'encre, libertaire et rêveur.
Il faut toutefois reconnaitre quelques longueurs dans ce livre. Mais il y des pages qui m'ont particulièrement touché comme celles de l'évocation d'une province quelque peu perdue, celle de la désertification et de l'exode rural, métaphore de ce personnage-narrateur qui rêve de la ville et de ce qui y brille mais reste fondamentalement attaché à son terroir. « Ici, ils ont tous regagné la ville pour travailler, laissant derrière eux des carcasses de voitures, des outils agricoles rouillés et des mauvaises herbes aussi envahissantes que la mauvaise conscience de criminels repentis » (p.53). Ces pages sont celles « d'un gars du coin toujours en exil » (p.125).
Et il y en a d'autres où affleure la poésie. « Au petit matin, des îlots de brume sortent du bois comme si des tribus imaginaires avaient bivouaqué dans la nuit et fui avant l'aube » (p.51).
Il existe des livres fades, impersonnels et qui laissent le lecteur de marbre, d'autres qui relèvent de la rencontre et nous intriguent, je vous invite à deviner à quelle catégorie appartient ce livre de
Stéphane Beauvais.