La jeune fille sensible et généreuse, réceptive et ardente, est toute prête à devenir une grande amoureuse.
Quand elle ne rencontre pas l’amour, il lui arrive de rencontrer la poésie.
Les femmes d'aujourd'hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles commencent à affirmer concrètement leur indépendance; mais ce n'est pas sans peine qu'elles réussissent à vivre intégralement de leur condition d'être humain.
Les hommes que nous appelons grands sont ceux qui ‑ d'une façon ou de l'autre ‑ ont chargé leurs épaules du poids du monde : ils s'en sont plus ou moins bien tirés, ils ont réussi à le recréer ou ils ont sombré; mais d'abord ils ont assumé cet énorme fardeau. C'est là ce qu'aucune femme n'a jamais fait, ce qu'aucune n'a jamais pu faire. Pour regarder l'univers comme sien, pour s'estimer coupable de ses fautes et se glorifier de ses progrès, il faut appartenir à la caste des privilégiés ; à ceux‑là seuls qui en détiennent les commandes il appartient de le justifier en le modifiant, en le pensant, en le dévoilant; seuls ils peuvent se reconnaître en lui et tenter d'y imprimer leur marque. C'est dans l'homme, non dans la femme, qu'a pu jusqu’ici s’incarner l'Homme. Or, les individus qui nous paraissent exemplaires, ceux qu'on décore du nom de génies, ce sont ceux qui ont prétendu jouer dans leur existence singulière le sort de l'humanité tout entière. Aucune femme ne s'y est crue autorisée. Comment Van Gogh aurait‑il pu naître femme ? Une femme n'aurait pas été envoyée en mission dans le Borinage, elle n'aurait pas senti la misère des hommes comme son propre crime, elle n'aurait pas cherché une rédemption ; elle n'aurait donc jamais peint les tournesols de Van Gogh. Sans compter que le genre de vie du peintre - la solitude d'Arles, la fréquentation des cafés, des bordels, tout ce qui alimentait l'art de Van Gogh en alimentant sa sensibilité ‑ lui eût été interdit. Une femme n'aurait jamais pu devenir Kafka : dans ses doutes et ses inquiétudes, elle eût pas reconnu l'angoisse de l'Homme chassé du paradis. il n'y a guère que sainte Thérèse qui ait vécu pour son compte, dans un total délaissement, la condition humaine : on a vu pourquoi. Se situant par‑delà les hiérarchies terrestres, elle ne sentait pas plus que saint Jean de la Croix un plafond rassurant au‑dessus de sa tête. C'était pour tous deux la même nuit, les mêmes éclats de lumière, en soi le même néant, en Dieu la même plénitude. Quand enfin il sera ainsi possible à tout être humain de placer son orgueil par‑delà la différenciation sexuelle, dans la difficile gloire de sa libre existence, alors seulement la femme pourra confondre son histoire, ses problèmes, ses doutes, ses espoirs, avec ceux de l'humanité; alors seulement elle pourra chercher dans sa vie et ses œuvres à dévoiler la réalité tout entière et non seulement sa personne. Tant qu'elle a encore à lutter pour devenir un être humain, elle ne saurait être une créatrice.
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Pour faire de grandes choses, ce qui manque essentiellement à la femme d'aujourd'hui, c'est l'oubli de soi : mais pour s'oublier il faut d'abord être solidement assuré qu'on s'est d'ores et déjà trouvé. Nouvelle venue au monde des hommes, piètrement soutenue par eux, la femme est encore trop occuper à se chercher.
Une des malédictions qui pèse sur la femme c'est que, dans son enfance, elle est abandonnée aux mains des femmes. Le garçon aussi est d'abord élevé par sa mère; mais elle a du respect pour sa virilité et il lui échappe très vite.
N'avoir plus confiance en son corps, c'est perdre confiance en soi-même.
« Il y a en France chaque année autant d'avortements que de naissances. C'est un phénomène si répandu qu'il faut le considérer comme un des risques normalement impliqués par la condition féminine. »
[L'avortement était encore interdit]
Ce que l’homme et la femme haïssent l’un chez l’autre, c’est l’échec éclatant de sa propre mauvaise foi et de sa propre lâcheté.
Ce qui est certain, c'est que jusqu'ici les possibilités de la femme ont été étouffées et perdues pour l'humanité et qu'il est grand temps dans sont intérêt et dans celui de tous qu'on lui laisse enfin courir toutes ses chances.
"Quand une porte a été enfoncée, ensuite c'est difficile de la tenir fermée", disait une jeune prostituée de quatorze ans.