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Critique de fabienne2909


Emouvant et beau livre que ce « Oona & Salinger » de Frédéric Beigbeder, que je viens de refermer. Je crois que c'est l'un des livres que j'ai mis le plus de temps à lire non pas parce qu'il ne me plaisait pas, mais parce qu'après en avoir dévoré plus de la moitié d'un coup, j'ai voulu le faire durer, fondre comme une confiserie dans la bouche.

Car l'ouvrage, qui pourrait paraître n'être qu'une sucrerie, seulement centré sur une histoire d'amour à sens unique supplantée par une autre histoire d'amour, qui s'ouvre sur une introduction où l'auteur raconte son refus de vieillir, justifiée et expliquée par « L'Attrape-coeur » de Salinger, le tout saupoudré à nouveau par des aphorismes plus ou moins autocentrés (mais très intéressants) du même auteur lors de ses vagabondages, va bien au-delà : une fois la couche de sucre traversée, l'ouvrage se révèle assez profond, et se dévoile dans toute sa subtilité et surtout sa sensibilité.

Si au départ, le sujet principal est la brève relation entre Jerry Salinger et Oona O'Neill, celui-ci restant subjugué par celle-là toute sa vie, avec la même intensité, malgré la distance qui les séparera toujours, physique d'abord (elle se refusera toujours à lui), géographique et sentimentale ensuite (elle le quitte alors qu'il est parti faire la guerre en Europe pour épouser Charlie Chaplin, de 36 ans son aîné. Salinger continuera à lui envoyer des lettres pendant un certain temps), il en change ensuite pour adopter plusieurs formes.

Celle d'un remarquable roman de guerre, d'abord. Frédéric Beigbeder reconstitue le débarquement, et les différentes batailles qui ont suivi la libération de la France avec toute sa brutalité et son atrocité (pour citer quelques exemples, la chute du premier rang de soldats drogués, pour enlever toute peur, sur les plages normandes, dont les vagues sont restées rouges pendant plusieurs jours ; le comportement inadmissible de certains GI's ; les combats inutiles, qui ont conduit à une boucherie, dans le froid insoutenable de la forêt allemande) ainsi que les traumatismes, en premier lieu chez Salinger, qui en ont été la conséquence, et qui ont d'ailleurs conduit ce dernier, en partie, à se retirer (« Ce qui provoque le traumatisme du vétéran, ce n'est pas l'indifférence ni le manque de reconnaissance, c'est que la vie a continué. de retour à New York en 1946, Jerry fut effondré de revoir le gros portier de son immeuble promener son chien tous les jours comme il le faisait avant la guerre. Ainsi les gens avaient continué de manger leur breakfast, de faire leurs courses chez l'épicier du coin, et de promener leur toutou autour du pâté de maisons. le décalage, voilà la cause principale de la dépression du combattant. La vie a suivi son cours, c'est pour cette vie qu'ils se sont battus (…). Si Salinger a quitté New York, c'est parce qu'on ne le laissait plus rentrer nulle part. Adolf Hitler a eu la même amertume de vétéran traumatisé à partir de 1919. Démobilisé et défait, frustré et désoeuvré, vaincu et loser, Jerry s'est enfui pour ne pas devenir dictateur »).

Un roman à thèse, ensuite (que l'on appréciera ou pas). Beigbeder est catégorique : « Je ne comprends pas pourquoi les hommes mûrs attirés par la chair fraîche choquent certaines personnes alors que c'est le couple idéal prôné par Platon dans « le Banquet ». On croit que les vieux libidineux sont attirés par des seins fermes et des cuisses fuselées alors que c'est la bonté qui les excite le plus (ce qui n'est pas incompatible avec les seins fermes et les cuisses fuselées). La gentillesse est la drogue des pépères pervers. Avec l'idée de façonner. L'homme a besoin de se sentir important depuis que la femme s'est libérée de lui ».
Cette thèse sera close par une intéressante mise en abyme : l'hommage de l'auteur à sa femme (plus jeune que lui, en sera-t-on étonné ?), nouveau moment de grâce et de délicatesse, fait à petites touches, et qui vaut d'être mentionné car il place ce « Oona et Salinger » loin des premiers ouvrages de l'auteur, plus cyniques et superficiels.
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