Qui a écrit ces vers célèbres ?
« Je ne chante (Magny), je pleure mes ennuis :
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante :
Voila pourquoi (Magny) je chante jours et nuits » ?
Ils se trouvent dans
les Regrets, inclus dans la lignée d'autres sonnets de bon cru.
Mon goût personnel tendrait à penser que la poésie des Regrets est largement surestimée mais ne nous limitons pas à une lecture immédiate et affective. Les poèmes de ce recueil dévoilent tout leur intérêt dans la perspective d'un cadre littéraire et politique qui renvoie d'une part au mouvement de la Pléiade et d'autre part à la déchéance de la Rome papale.
Joachim du Bellay, poète de la Pléiade, vivait à Paris avec ses semblables de plumes qui louaient unanimement la gloire de cette Rome antique qui avait permis à de grands auteurs comme
Virgile ou
Cicéron de construire leur oeuvre, jusqu'au jour où
Du Bellay fut plus ou moins embarqué dans un voyage qui devait le conduire pendant trois ans à effectuer de menues tâches administratives dans la ville « mère des Arts » vantée par
Ronsard. La réalité est bien souvent plus décevante que l'imagination et pour se lamenter,
Du Bellay commença à rédiger
les Regrets au cours de son séjour romain. Il le poursuivit encore lors de son retour et une fois rentré au bercail parisien. Ce recueil est donc celui du paradoxe : les lamentations sur l'exil composées en partie lors du retour offrent un espace d'expression à la fois pour la plainte, pour la satire et pour l'élégie, composition hétéroclite et incohérente si on la place dans la perspective purement biographique. Un autre paradoxe, et non des moindres, peut rendre le lecteur confus. Alors que
Joachim du Bellay recommandait de prendre ses distances avec les sources d'inspiration antiques dans sa Défense et illustration de la langue française, il nous faut reconnaître qu'il déploie ici une
poésie savante et riche de références à
Ovide, Horace,
Virgile ou
Cicéron pour les anciens, mais aussi à
Erasme ou à
Ronsard, son compagnon et principal rival de la Pléiade. Les paradoxes se résolvent lorsque l'on déplace
les Regrets du plan de la lecture biographique pour les placer sur le plan de la lecture littéraire. le recueil devient alors le manifeste d'une écriture poétique profondément originale, dans la lignée de cet humanisme qui accorde de l'intérêt aussi bien à l'individu qu'à la toile de ses sources d'inspiration.
Les Regrets est un puissant témoignage de cette période poétique et historique de transition, qu'on lira sinon pour le plaisir, au moins pour l'anecdote.