Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 4, initialement paru en 2014, écrits par
Max Bemis, dessinés par
Ransom Getty avec l'aide d'
Andrea Mutti pour les épisodes 3 & 4, encrés par Getty, sauf l'épisode 2 encré par
Ryan Winn. La mise en couleurs a été réalisée par Chrys Blithe.
Dans 25 ans à Los Angeles, un handicapé en fauteuil roulant se fait agresser dans la rue par 4 voyous. Un passant lui vient en aide et les fait fuir. 2 policiers interviennent et passent à tabac le passant. de nos jours, Reese Greenwood, une rappeuse, est en train de se produire sur scène, interprétant une chanson dénonçant le comportement d'afro-américains faisant le jeu d'un système politique qui les opprime. Une fois dans sa loge (sous l'oeil vigilant de Theo son garde du corps), elle a la surprise de recevoir une visite de courtoisie de Sam Duggins, l'un des candidats à l'élection présidentielle.
Peu de temps plus tard, Courtney, la femme de Kenneth Laramy (l'autre candidat à la présidentielle), est assassinée d'un coup de couteau dans le cou, et retrouvée agonisante par sa fille dans la buanderie. Kenneth Laramy effectue une allocution très émouvante devant ses militants, disant sa façon de penser sur un crime aussi abject, annonçant qu'il se retire de la course à la présidentielle, et révélant une particularité sur le comportement de sa femme. Sam Duggins reste donc le seul candidat sérieux en lice. Après une rencontre inopportune avec Kenneth Laramy, Reese Greenwood accepte de revoir Sam Duggins en privé, ou presque puisque sont également présents Theo son garde du corps, ainsi que Larry & Walt, ceux de Duggins.
Cette nouvelle série a bénéficié d'un bouche-à-oreille assez favorable, car le scénariste est également le chanteur du groupe Say anything. Ce n'est pas la première fois qu'il réalise un comics, puisqu'il est également l'auteur de Worst X-Man ever (en VO), dessiné par
Michael Walsh. Il a indiqué qu'Evil Empire devrait être une histoire complète en 16 épisodes, soit 4 tomes. de son côté,
Ransom Getty est un jeune dessinateur.
Andrea Mutti a déjà travaillé sur des projets prestigieux comme Girl with the dragon tattoo (une adaptation du roman de Stieg Larson, en VO), ou Rebels: A well-regulated militia (VO) de
Brian K. Vaughan
Le lecteur commence par découvrir cette séquence située 25 ans dans le futur. Il ne sait pas trop quoi en faire. Il y en a une autre en début d'épisode 2, et encore une en début d'épisode 3. L'auteur établi l'existence d'une police sommaire, et de comportements réprouvés sur la voie publique. À la fin de la première séquence, le commentaire en voix off indique au lecteur qu'il est responsable de cet état de fait, de cet ordre social brutal. En outre le titre même de la série condamne sans ambages le gouvernement en place comme relevant d'un empire du mal. Néanmoins le faible nombre de pages consacrées à ce futur proche (7 pages au total) ne permet pas au lecteur de se faire une opinion des spécificités de cet état, au-delà de l'évidence de sa brutalité.
La majeure partie du récit est donc consacrée au temps présent, se concentrant sur 3 personnages : Reese Greenwood (la rappeuse) et les 2 candidats à l'élection présidentielle Sam Duggins et Kenneth Laramy. le scénariste structure son récit sur un meurtre dont le coupable est révélé dès le premier épisode, ainsi que sur la poursuite du coupable, et sur une interrogation fondamentale sur la nature de la liberté dans la société américaine. Il développe un minimum ses personnages. Reese Greenwood est une jeune femme qui dénonce des comportements sociétaux au travers de ses chansons, qui ne s'en laisse pas conter et qui gère avec intelligence son degré d'indépendance, en particulier vis-à-vis de Sam Duggins. Ce dernier est un candidat propre sur lui avec une bonne maîtrise des techniques de communication, en particulier sa façon d'impliquer Greenwood en la mettant devant le fait accompli sans lui laisser de marge de manoeuvre.
Kenneth Laramy (le deuxième candidat présidentiel) est immédiatement antipathique. Il défend une position de société assez tendancieuse, mais bien exprimée. Il met en évidence à quel point la liberté individuelle est le fondement de la société américaine, et à quel point les lois promulguées et appliquées par le gouvernement sont liberticides.
Max Bemis ne se contente pas d'une simple dénonciation destructive, il fait exposer à son personnage une alternative permettant plus de liberté pour chacun, avec comme corollaire une responsabilité accrue de ses actes. Si ce postulat n'est pas entièrement convaincant, il est en tout cas séduisant et dénué de niaiserie, tout juste un peu naïf d'un point de vue politique et sociétal, mais nettement plus élaboré qu'une simple rébellion adolescente.
Ces différentes composantes (meurtre, poursuite du coupable, question sociétale) engendrent une dynamique soutenue et un solide suspense narratifs. le lecteur s'attache à Reese Greenwood qui est crédible, volontaire et fonceuse. Il essaye d'anticiper les manoeuvres de Duggins et Laramy, et se fait surprendre à chaque fois par le récit.
Max Bemis se montre retors avec quelques retournements de situation, et intelligent dans la manière dont Duggins et Laramy mènent leur barque, entre stratégie mûrement réfléchie et impondérables à gérer en temps réel.
Ransom Getty réalise des dessins dans un mode réaliste pour donner un ancrage concret au récit. le lecteur peut apprécier la qualité banale des tenues vestimentaires des protagonistes. L'artiste se conforme à la norme en vigueur pour les individus mâles évoluant dans l'entourage des candidats et les candidats eux-mêmes : forcément costume et chemise. Il attribue des tenues plus décontractées pour les figurants dans la rue. Il fournit plusieurs tenues à Reese Greenwood en fonction des circonstances : tenue de scène pratique sans accessoires exubérants, robe stricte pour les funérailles, jean, t-shirt, blouson et bonnet pour la virée dans les bois.
Il est visible que Getty a passé du temps sur ses planches pour y apporter des détails. C'est ainsi que le lecteur peut détailler les uniformes des policiers de Los Angeles dans 25 ans : chemise particulière, écusson rouge, matraque, arme à feu, foulard, bretelle de support pour l'arme à feu. Il peut aussi apprécier la coiffure de Reese Greenwood, ainsi que ses choix de bijoux. Son regard peut s'attarder sur l'aménagement et l'ameublement des différentes pièces où se déroulent les séquences : les loges un peu brutes après le concert, la salle à manger cossue de la famille Duggins, l'aménagement de la cuisine des Laramy, les rues de Detroit, Dallas et Bervely Hills alors que les émeutes éclatent ou encore la propriété des Duggins quand Reese rend visite à leur fille Kara.
Lors des discussions, Ransom affectionne les gros plans sur les visages, sans que cela ne semble être un palliatif à une insuffisance de compétences professionnelles en tant que dessinateur. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il n'hésite pas à représenter les visages chargés de rides, avec des expressions franches, peu séduisantes. le lecteur peut voir des personnages faisant leur âge, habités par leurs émotions, emportés par leurs convictions. Ce choix graphique participe à impliquer le lecteur dans le ressenti des protagonistes.
La prise en main progressive de la série par
Andrea Mutti change la tonalité de la narration visuelle. Il diminue de plusieurs crans le niveau de détails, sans que cela n'impacte trop le degré de réalisme. Par contre les décors perdent beaucoup en substance devenant moins tangibles, plus génériques, un peu plus naïfs. Les personnages ne perdent pas leur identité graphique, par contre leurs expressions diminuent en intensité diminuant le degré d'intimité du lecteur avec eux. Conformément au scénario, cet artiste réalise un dessin pleine page pour une grosse révélation dans le dernier épisode. Ce dessin manque de nuances et la représentation est littérale, avec une posture peu naturelle pour les 2 individus concernés. Cette image accentue le côté sensationnel de la révélation, diminuant d'autant sa plausibilité.
Ce premier tome de la série Evil Empire donne envie de découvrir la suite, et d'assister à la suite d'événements qui conduira à ce futur proche (dans 25 ans) montré à 3 reprises à Los Angeles.
Max Bemis a créé des personnages intéressants, ainsi qu'une intrigue bien huilée, tant du point de vue du divertissement que du suspense.
Ransom Getty effectue un travail de mise en images appliqué et naturaliste, tout en réussissant à faire passer les émotions des personnages, leur force vitale.
Andrea Mutti réalise des pages plus sombres, mais moins détaillées. Au travers de l'intrigue,
Max Bemis développe un point de vue politique intéressant et construit qui, pour le moment, évite le simplisme et s'attaque à l'épineuse question du rôle régulateur des fondements moraux d'une constitution. Par contre, il utilise quelques retournements de situation à base de grosses ficelles qui privilégie le spectaculaire, au détriment de la finesse.