Il y eut en France, dans la première moitié du XXème siècle, un courant d'écrivains qui, en marge de la littérature traditionnelle, proposait des romans d'aventures situés dans des pays étrangers, voire lointains. Ces romans, exotiques par nature, incitaient au dépaysement, d'autant qu'un soupçon de mystère et d'érotisme diffus augmentait le plaisir de la lecture.
Parmi ces romanciers, venaient en première ligne
Pierre Benoit et
Joseph Peyré, écrivains reconnus et appréciés, et d'autres, célèbres en leur temps, mais que
L Histoire a plus ou moins oubliés, comme
Claude Farrère ou
Maurice Dekobra..
Pierre Benoit (1886-1962) s'est fait une spécialité du genre, en y incorporant ses propres variantes : l'héroïne est la plupart du temps une femme fatale qui attire les hommes et leur fait commettre l'irréparable. Curieusement, elle a un prénom qui commence par la lettre A (Aurore dans
Koenigsmark, Antinéa dans
L'Atlantide, Allegria dans
Pour Don Carlos etc.) Enfin il y a souvent, faisant pendant à l'histoire d'amour, une histoire d'amitié.
L'Atlantide (1919) est avec
Koenigsmark (1918) une oeuvre majeure de
Pierre Benoit, et une des plus populaires. L'histoire est connue : au Sahara, lors d'une mission d'exploration, deux officiers français, Morhange et
Saint-Avit, sont capturés dans un palais souterrain par la belle et mystérieuse Antinéa, descendante des Atlantes. Celle-ci, véritable mante religieuse, fait mourir d'amour ses amants et les conserve dans des arches creusées à même la pierre. Morhange n'y survit pas, et
Saint-Avit réussit à s'évader, avec l'aide de la petite esclave Tanit-Zerga. de retour en garnison, il est rongé par le remords autant que par le souvenir d'Antinéa. Il se confie au lieutenant Ferrières, lui faisant comprendre qu'il ne peut plus résister au désir de retrouver Antinéa.
L'Atlantide, paru en 1919, a été salué par la critique comme un souffle d'air pur après ces années de guerre, et accueilli triomphalement par un public pressé de tourner la page. Mais ce qui aurait pu être un succès purement circonstanciel, a perduré et est devenu un roman-culte. A cela, plusieurs raisons peuvent être avancées;
L'idée de placer
l'Atlantide (le continent perdu) au coeur du Sahara, est tout-à-fait inédite. Scientifiquement discutable, mais pas impossible, elle ravit le public français qui de cette façon amène le mythe sur son territoire (l'Afrique du Nord)
L'attrait et le mystère du désert, ses descriptions saisissantes, son charme secret, sont autant d'ingrédients exotiques pour les métropolitains
Le portrait d'Antinéa, déesse de l'amour (plus proche de Kâli que de Vénus) est extraordinairement subjectif, le lecteur lui-même est prêt à succomber sous le charme de la sirène des sables.
En contrepoint le portrait de la petite Tanit-Zerga est infiniment touchant, et celui de Cegheir-Ben-Cheikh énigmatique à souhait.
Les trois militaires, Morhange,
Saint-Avit et Ferrières, sont à la fois romantiques et pragmatiques, mais ne peuvent se soustraire à l'attraction quasi arachnéenne d'Antinéa. le premier a succombé, le deuxième prend le même chemin, et le troisième, même si l'histoire ne le dit pas, pourrait bien suivre les deux premiers.
Enfin la construction même du récit, par flash-back successifs, donne au récit une allure (très cinématographique, en fait) propre à captiver l'attention du lecteur.
Et la langue merveilleuse de l'auteur fait le reste : à la fois simple, déliée, fortement évocatrice, elle est toute entière au service de l'intrigue.
L'Atlantide est donc tout à la fois un roman d'aventures et un roman d'amour, un roman initiatique, à la limite du fantastique, un roman qui ne peut que combler les amateurs d'exotisme et de mystère.
Pierre Benoit, un auteur à redécouvrir.
L'Atlantide, un roman à lire ou relire sans modération, pour le plaisir (comme disait Herbert Léonard… au siècle dernier !)