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Critique de jullius


Bien difficile d'oser prendre la parole après tant d'intelligence et de style.

L'étiquette qui est souvent collée à Bernanos me semble ici complètement battue en brèche, par l'importance et la valeur qu'il accorde d'abord et avant tout à la Révolution française ; et surtout le rôle, la portée qu'il lui restitue. Si réactionnaire il semble être, ce n'est pas par ce bout là (un prétendu passéisme rabougri) que l'on peut le piéger ! Ne disait-il d'ailleurs pas, à cette critique sur son prétendu passéisme : "oui j'aime le passé, mais je ne pense qu'à l'avenir"...? Car la Révolution qu'il loue est une promesse non tenue ; le progrès/la modernité qu'il conspue en est même sa subversion.

Oui ! Bernanos ne se pâme pas devant la modernité comme l'on baille aujourd'hui, benoitement, devant toute manifestation (souvent technologique) de ce qui devrait être perçu, compris, entendu comme du progrès. Car, finalement, la modernité qu'on nous vend, le progrès dont on nous rebat les oreilles, le sens de l'histoire devant lequel tous devrions nous incliner n'a rien d'une sinécure : au contraire.

La modernité dans laquelle nous sommes jetés sans égard est celle d'un monde indifférencié, donc inhumain. C'est, pour le dire sans se payer de mots, un crime contre l'humanité ! Qu'a-t-elle à offrir à chacun ? « Une vie tout entière orientée par la notion de rendement, d'efficience et finalement de profit ». Que fait-elle de nous tous ? « Une société d'êtres non pas égaux, mais pareils ». La modernité dont on nous fait la réclame n'est finalement rien d'autre que « la Civilisation des machines [c'est-à-dire] la civilisation de la quantité opposée à celle de la qualité ». Que reste-t-il d'humain dans ce projet ?

Certes, Lewis Mumford, Simone Weil, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Gunther Anders, Ivan Illich, George Orwell, et encore bien d'autres ont fait le même constat, certains plus tôt, d'autres plus tard. Mais Bernanos en tire une conclusion provocante, que dis-je, déploie un leitmotive (puisqu'il sait que nous savons, avertis déjà, vivants – encore un peu – et supportant cette infamie) que la seule chose que l'on puisse finir par dire c'est que nous sommes des « imbéciles ». Ah il ne mâche pas ses mots l'ami Georges, il ne nous ménage nullement, ne nous épargne rien (que l'on soit un thuriféraire du progrès ou une de ses victimes passives, restant là, à ne rien faire d'autre que supporter son mauvais sort, son malheur au sens propre).

Qu'est-ce que la France ? La Révolution lui avait donné les couleurs de l'espérance, d'une humanité fière, réconciliée, parce qu'autonome, affranchie de toutes les tyrannies, des pouvoirs iniques sous toutes ses formes ; et libre d'entreprendre l'érection d'une existence réelle, digne.
Qu'en a fait le progrès technologique ? Une nation d'imbéciles, parce que « les imbéciles y dominent […] par le nombre, [parce] ils y sont le nombre ». Et sur l'issue, Bernanos a peu d'espoir, ce qui explique sans doute sa colère : « vous resterez bouche bée, imbécile devant des destructions encore inconcevables à l'instant où j'écris ces lignes, et vous direz exactement ce que vous dites aujourd'hui, vous lirez dans les journaux les mêmes slogans mis définitivement au point pour les gens de votre sorte, car la dernière catas­trophe a comme cristallisé l'imbécile ; l'imbécile n'évoluera plus désormais, voilà ce que je pense ; nous sommes désormais en possession d'une certaine espèce d'imbécile capable de résister à toutes les catastrophes jusqu'à ce que cette malheureuse planète soit volatilisée, elle aussi, par quelque feu mysté­rieux dont le futur inventeur est probablement un enfant au maillot ».

Quand on lit, à longueur de manchette de journaux, les ravages de l'automatisation, de la numérisation, de la digitalisation, sur les hommes comme sur la nature, peut-on facilement le prendre de haut et dire qu'il avait tort ?
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