Quant au reproche de gagne-pain que l'on adresse aux femmes qui font métier d'écrire, j'avoue qu'il ne me touche en rien. Nous sommes à une heure ou la littérature, comme tous les arts, tend à s'ériger en un métier classé au même litre que celui de soldat, de médecin ou d'industriel. Je ne vois donc pas la nécessité de faire à la femme seule un reproche qui s'adresse aussi bien à l'homme de lettres. Et, du reste, de quel droit reprocherait-on à qui que ce soit d'exercer un métier lorsque celui-ci est honorable et que celui qui l'exerce est
probe et sincère?
C'est que le siècle a changé, les idées ont marché, le féminisme est né, agrandi, apportant avec lui cet enthousiasme, cet élan de solidarité qui les unit toutes maintenant. Impulsion puissante qui, leur donnant la force, leur donne aussi la responsabilité. Elles se sentent en quelque sorte dépendantes les unes des autres dans les œuvres qu'elles accomplissent et prêtes à se prouver un mutuel appui. Une femme auteur d'un beau livre, une femme reçue à l'internat, une femme conquérant un poste réservé habituellement à l'intelligence virile, c'est une conquête de plus à ajouter aux autres. Les plus froides elles-mêmes se sentent un peu fières de telles victoires.
Or les femmes de lettres avaient cette chance unique de se recruter, encore pour la plupart, parmi les gens d'en haut. D'où toutes sortes de faveurs qui leur sont venues pour ainsi dire mécaniquement, nul pays n'étant, au fond, plus aristocrate que la France, plus disposé à suivre l'élan donné par l'élite. Ici l'élan fut suivi par la bourgeoisie, qui tomba tout de suite en admiration devant les grandes artistes, admiration qui se traduisit par imitation. « Pourquoi, moi aussi, puisque la littérature est à la mode, n'en ferai-je pas? » s'écriait chacune d'elles à parte. Et c'était déjà un grand point d'acquis d'avoir incité cette émulation universelle.
Maintenant, quelles seront les exigences de ce public élargi? Nous n'en savons rien et nous n'en pouvons rien pronostiquer, mais, dès aujourd'hui, vous le voyez, nous pouvons entrevoir, à brève échéance, la désagrégation des circonstances actuelles qui furent si favorables à l'éclosion de la littérature féminine.
Enfin nous apercevons encore un autre phénomène qui doit se réaliser à assez bref délai : c'est un changement complet dans la nature de la femme de lettres. Ce changement est indispensable si celle-ci veut continuer de s'affirmer comme écrivain.
Et, défait, nous apercevons que beaucoup de ce> femmes nouvelles, non seulement ne songent plus à aimer (ce qui est invraisemblable, n'est-ce pas?) mais paraissent même ne plus comprendre lorsque l'amour est enjeu. En tous cas, s'il balance dans leur esprit avec les préoccupations de leur métier ou de leur art, elles l'abandonnent délibérément pour consacrer toute leur activité à ce dernier.