Les gens veulent croire en quelque chose : il suffit de leur fourguer une invention plausible.
« Je n’avais pas encore le Tapir quand je suis arrivé ici. Il s’est pointé la deuxième nuit, après que je me suis fait tomber dessus par deux mecs du gang 4161 de Melbourne. Coup de bol, mon pote Len était déjà sur place et connaissait leurs petits jeux. Il m’a filé un schlass à mon arrivée, lequel a fini dans le cou d’un des mecs, un connard tatoué appelé Deke.
Cette nuit, au moment où Deke canait dans un hôpital à Geelong, le Tapir est apparu devant ma cellule d’isolement. Je l’ai entendu gratter à la porte. Ça m’a foutu une trouille pas possible. C’était une femelle. Les gardes ont dit qu’elle était encore pleine de boue de la jungle quand ils l’ont trouvé.
« Je m’appelle Eloria Bangana. Je vis en RDC, la république démocratique du Congo. J’ai treize ans. Lorsqu’ils ont tué ma famille, j’ai dû faire un choix : me prostituer ou me faire passer pour un garçon et travailler dans les mines de Coltan.
Par chance, je suis petite pour mn âge. La plupart des gens croient que j’ai neuf ou dix ans. Alors, j’ai choisi les mines parce que je peux me faufiler dans les sous-terrains avec ma pelle et mon petit seau pour tamiser, même si j’utilise surtout mes mains. Parfois, mes doigts saignent d’avoir gratté la terre. »
Je fais les cent pas devant l'entrée des ambulances des urgences de Charlotte Maxeke, en fumant férocement, en mastiquant pratiquement mes clopes. Je suis tellement absorbée par cette phrase qui passe en boucle dans ma tête (pitié ne meurs pas pitié ne meurs pas), encore tellement défoncée, que je ne remarque pas les ombres qui commencent à dégouliner des arbres, des poteaux et des recoins noirs puis se coagulent.