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Critique de Patsales


Comme j'ai bien fait d'aller piocher dans ma Pal de 2015 ! J'en ai exhumé « La Septième Fonction du langage », ce qui m'a permis de me gondoler pendant plusieurs jours. Comme le dit Michfred : « L'éclate absolue ! »
Question : l'éclate en question n'est-elle pas conditionnée par un minimum de connaissances sémiotico-linguistiques ? Euh… C'est pas faux. Maintenant, je suppose que des enfants peuvent se marrer en lisant « le Tour de Gaule » d'Astérix sans forcément décoder le nom du préfet de Lugdunum (Encorutilfaluquejelesus, pour mémoire). Et que tous les lecteurs de hard S.F. n'ont pas leur agrégation de physique quantique.
Et puis Binet n'est pas avare de parenthèses didactiques (au moins au début) grâce à un policier parfaitement béotien qui s'aventure lui aussi dans un domaine dont il ne connaît rien.
Et puis, surtout, comme Ecco, à qui il rend un hommage appuyé, Binet se sert des codes de la littérature de genre pour nous apprendre des trucs compliqués. Comme dans « le Nom de la rose », des cadavres s'accumulent pour interdire l'accès à un document essentiel écrit par un grand théoricien : Aristote pour l'un, Jakobson pour l'autre. Comme « le Nom de la rose » toujours, il s'agit d'un roman historique : nous sommes, non pas en l'an de grâce 1327, mais à quelques mois des élections de mai 1981.
Mais s'agit-il uniquement d'une pochade, d'une parodie de la French theory ?
Si la sémiologie est la « discipline qui applique les procédés de la critique littéraire à des objets non littéraires », il faut en tirer les conclusions qui s'imposent : tout est roman. On peut étudier la vie comme on étudierait un texte littéraire justement parce que nous sommes tous des héros de roman.
Tiens, par exemple : Barthes est mort en sortant d'un déjeuner concocté par Jack Lang. C'est historiquement indéniable. Maintenant, à qui fera-t-on croire qu'un ministre nommé « Lang » n'a rien à voir avec la mort d'un linguiste ?
En partant de ce principe, la vie a une construction aussi logique que celle d'un roman et il n'y a pas de hasard. Ça tombe bien puisque la septième fonction du langage est la fonction performative qui consiste à agir par la seule parole. Bon, si moi je dis « Abracadabra », aucun lapin ne va sortir de mon chapeau (d'ailleurs je n'ai pas de chapeau) et quand j'affirme d'une voix légèrement hystérique que j'ai raison, il n'est pas dit qu'on me croie. En revanche, quand Dieu dit : « Que la lumière soit. », la lumière fut. Et quand le romancier affirme que Roland Barthes a été trucidé par des espions bulgares, c'est qu'il l'a été. C'est grâce à la fonction performative que nous tombons amoureux : d'abord parce nous ne le sommes pas tant que nous n'avons pas dit « Je t'aime », ensuite parce que la passion n'existe que d'avoir été apprise dans les romans et les poèmes.
Un roman sur la septième fonction du langage n'est donc qu'une mise en abyme puisqu'il n'y a pas plus performatif qu'un texte littéraire qui s'engendre par sa propre logique : c'est parce que les Bulgares sont réputés pour leurs parapluies empoisonnés que, suivant la théorie d'Isidore Ducasse comte De Lautréamont, Simon se retrouve à forniquer avec la belle Bianca sur une table de dissection bolognaise. Tout est signe, rien n'est hasard.
Mais, même si ce roman est très maîtrisé, je lui vois un défaut majeur : Binet y fait mourir Derrida, soit 20 ans au moins avant sa mort réelle. Je suppose qu'il a hésité avant de commettre le test ultime : tuer un personnage encore vivant dans la vie réelle et lire le lendemain dans le journal que la vie réelle n'existe pas puisque l'individu serait passé de vie à trépas à peine sèche l'encre du livre.
Bref, ce livre était à deux doigts d'être parfait.
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