Pensant à Léo, j'ai eu le cœur serré : et s'il se trouvait à nouveau en butte à l'agressivité des autres, sans moi pour le défendre...
Le " bon géant " m'a rassurée : les surveillants, parmi lesquels se trouvent de nombreuses femmes, sont très à l'écoute des enfants et font le maximum afin que chacun se sente bien, trouve sa place dans le foyer. Il a simplement déploré un manque de crédits, qui lui aurait permis de donner à l'endroit un aspect moins rébarbatif. Seul le réfectoire m'a semblé convivial, il a ri : c'était lui, aidé de quelques volontaires, qui s'en était occupé.
Ma visite achevée, il m'a autorisée à voit Léo et, si je le souhaitais, l'emmener pour une courte promenade, ce que j'ai accepté avec reconnaissance. Oh, Jean, j'aurais tant voulu que tu sois là quand le petit m'a découverte dans le bureau du directeur. Il s'est figé et, sur son visage, il y avait un tel bonheur, un tel espoir mêlé de peur et d'incrédulité, que cela lui faisait comme un masque de souffrance. Je lui ai ouvert mes bras. Il s'y est précipité.
- En voilà un dont l'amour à votre égard ne fait guère de doute, a remarqué le directeur impressionné.
Nous avions une heure devant nous, j'ai commencé par emmener Léo dans la pâtisserie voisine, où nous avons choisi des cornets de glace que nous sommes allés déguster dans le parc voisin, assis sur un banc, le petit réfugié contre moi. Te dire qu'il a beaucoup parlé serait exagéré, mais j'ai compris très vite qu'il espérait que, dès ce soir, je le ramènerais chez moi. Et tout le reste de la promenade a été consacré à le rassurer. Non, je ne l'abandonnerais pas ! Oui je viendrais très souvent le chercher ! Je lui ai même promis que, la prochaine fois, il passerait la nuit à la maison.
C'est souvent un détail qui nous convainc de la sincérité de notre interlocuteur. Quand j'ai assuré à Léo qu'il dormirait dans ma chambre, son lit près du mien, et que, sur sa table de nuit, se trouverait une lampe qu'il aurait le droit d'allumer quand il le voudrait, il m'a enfin crue. Il a même souri.
N'empêche qu'un peu plus tard, le racompagnant au foyer, j'avais bien du mal à ne pas pleurer comme lui.
Marie a 17 ans et elle est en première au lycée de Neuville, un patelin pas loin d'ici. Elle est timide, réservée à l'extrême, "mal fagotée"... Pas étonnant avec sa mère : la " veuve noire ", comme tu l'appelles. Mais tellement jolie, pleine d'une lumineuse pureté et un regard à tomber. Et il tombe, Jean-Rémi, lui 18 ans, en terminale dans le même lycée. Un amour fou, partagé par Marie qui, sans hésiter, se donne à lui.
Bien sûr, elle lui a tout dit sur sa mère -ta grand-mère- et ils font très attention à ce qu'elle ne se doute de rien. Absorbée par ses bonnes œuvres, à mille lieus de se douter de ce qui arrive à sa fille, ça marche! Jamais Marie n'a éprouvé un tel bonheur, une telle libération. Elle est résolue, dès sa majorité - dans quelques mois-, à se sauver de chez elle pour vivre avec Jean-Rémi. La passion l'a transformée, elle est prête à tout pour celui qu'elle aime. Et Jean-Rémi y croit aussi. Oui, bientôt, ils seront enfin réunis. La suite, elle me l'a racontée elle-même : la sale vengeance d'Irène, les photos, la convocation des parents des " coupables " par le proviseur. On peut imaginer la réaction de ta grand-mère devant ces images.
Merci pour le dessin de Léo. Il m'a, moi aussi, attristé. Cependant, je me garderai bien de l'analyser, un dessin n'ayant de valeur qu'accompagné des mots de son auteur ou, à défaut, de son comportement. Je me propose de cherche dans mon entourage quelqu'un qui saura le déchiffrer en sa présence. Reste à trouver l'endroit où vous vous rencontrerez tous les trois. A votre école, peut-être ? En espérant que la directrice ne s'y opposera pas. Où en êtes-vous avec elle ?
Quoi qu'il en soit, Marie, ne craignez rien : pour cet enfant, comme pour le reste, vous me trouverez toujours à vos côtés;
Ma grive musicienne vous adresse sa plus jolie trille.
Jean
L'incurable curieux que je suis s'est renseigné sur l'origine de votre prénom. Il viendrait de "Myriam", qui signifie "goutte de mer". La mer, notre lointain berceau. La mer, notre mère à tous.
Et savez-vous quel est l'autre prénom féminin le plus répandu sur la planète ? Tout bêtement "Sophie", qui veut dire "sagesse". Notre bonne comtesse de Ségur devait l'ignorer lorsqu'elle a créé son insupportable Sophie Fichini.
Merci de m'avoir parlé de voter Léo ; il m'a touché. Les enfants, naturellement cruels ? Je ne le pense pas. Mais de plus en plus, quand ils ne s'attaquent pas aux animaux incapables de se défendre, ils se montrent sans pitié vis-à-vis des plus faibles, des "différents", dans leur entourage.
Et là, les parents doivent se montrer intraitables, inculquer sans relâche à leurs enfants le respect de la vie, fût-ce celle d'une mouche ou d'un ver de terre. Sans pour autant ignorer qu'un enfant persécuteur est bien souvent lui-même en souffrance.
Imaginez que ce matin, sortant de chez moi, je croise le facteur. Il tire de sa sacoche une enveloppe bleue et me la tend avec un clin d’œil, guettant ma réaction. Richard est un vieux de la vieille qui se désole du nombre décroissant de lettres à distribuer, le règne du numérique gagnant de plus en plus de terrain. Il raconte que, il n’y a pas si longtemps, on le recevait dans les maisons, lui offrait à boire, se confiait à lui.
Connais-tu le dicton : « Beau temps en juin, abondance de grain » ? Ce matin à mon réveil, un soleil éclatant m’a annoncé une bonne moisson. Peu m’importe de quoi, à condition que ce soient nous les moissonneurs