Constellation

Chacun tient un morceau du puzzle que constitue la catastrophe, mais celle-ci ne restera-t-elle pas toujours une énigme, même lorsque les morceaux seront rassemblés ?

Ce soir du 27 octobre 1949 sur la piste de l'aérodrome d'Orly, le F-BAZN d'Air France s'apprête à accueillir trente-sept passagers en partance pour les États-Unis.

Toute histoire est un prétexte. Ces deux dernières années, j'ai cru plus que de raison aux signes, à la bonne étoile, m'y suis perdu, seul le récit de ces vies encloses en destinée dans la carlingue d'un Constellation pouvait répondre à mes questions. Il m'avait fallu me rendre aux Açores pour entendre la résonance intime de ces hommes et de ces femmes qui avaient vécu et aimé. Il m'avait fallu atteindre le port de Ponta Delgada, marcher le long des sentiers du mont Redondo, observer, tard, le ciel, et tôt, le rivage, pour apercevoir l'illusion d'une distance au coeur du roman. Comprendre qu'en éloignant la mélasse de mes sentiments j'accosterais, au terminus, en terrain connu, y trouverais des réponses, mettrais un pied devant l'autre, à nouveau.

J'avais noté, dans l'avion qui m'amenait à Lisbonne, le fragment d'un poème de Blaise Cendrars, Fernando de Noronha :

De loin on dirait une cathédrale engloutie
De près
C'est une île aux couleurs si intenses
que le vert de l'herbe est tout doré.

La vie moderne autorise les voyages mais ne procure pas d'aventure
(paraphrase de Jean Mermoz, Mes Vols)

"Cueillez les roses de la vie." Mais acceptez-en les épines!

Nous aimons les contes de fées, les pommes de Newton, les Eurêka, l'incarnation de la grâce en événement ponctuel, inné, inéluctable, et effaçons par goût du merveilleux les précédents, la sale besogne, les doutes.

«Un jour nous abattrons les cloisons de notre prison ; nous parlerons à des gens qui nous répondrons ; le malentendu se dissipera entre les vivants ; les morts n'auront plus de secrets pour nous ; un jour nous prendrons des trains qui partent.»

Deux lois gouvernent l'histoire de l'aéronautique et concourent à l'intérieur de l'opinion publique à transformer un enchaînement de causes rationnelles en un signe magique de la destinée : la loi des séries et la loi de Murphy. La première est le fruit d'un aveuglement aux événements heureux et d'une accentuation par le relevé médiatique des drames d'une série. La seconde, son corollaire, tient dans l'adage absurde qu'une succession d'erreurs trace une prédestination des catastrophes : «Tout ce qui peut mal tourner va mal tourner.»

Quel diable s'est ingénié à faire concorder autant d'erreurs jusqu'à un impact aux probabilités nulles ou presque?