Elle sentait qu'il était très tard, plus de minuit, sans doute ; c'est le moment où la nuit coule, comme un fleuve, de l'autre côté du temps, le moment où se produit la naissance mystérieuse du lendemain.
Je me les représente souvent, ces aurores de Notting Hill Gate.
Le froid noir du mois de janvier emprisonnait le ciel et la terre : le ciel était fermé au soleil - mais les cygnes, mais les arêtes de la glace, mais les pâles et lointaines terrasses datant de la Régence, luisaient d'un éclat surnaturel, comme si le froid était équivalent de la lumière.
Le plein hiver, en son moment le plus rude, a quelque chose de dramatique.
Il y a dans le désespoir quelque chose de si saisissant, qu'il faut avoir l'intelligence aguerrie pour s'apercevoir que c'est seulement une forme grandiose de la frousse.
Après des bouleversements intimes, il est très important de fixer son esprit sur quelque chose d'inébranlable. L'indifférence des objets, avec leur air de croire qu'il ne s'est rien passé, nous refournit un point d'appui.
Pour ceux qui vivent d'attente, la proche réalisation constitue une sorte d'épreuve.
Dans les débuts de l'amour - dans sa période magnifique, et qui dure, chez les êtres jeunes, très longtemps-, le bien-aimé n'existe pas en dehors de nous; jamais, par conséquent, il n'arrive ni ne part. Parmi ce tumulte silencieux, exalté et exaltant, les faits réels comptent peu. L'âme demeure, en somme, à un tel diapason, que la présence réelle peut-être de trop, peut devenir intolérable - on a envie de dire: "Allez-vous-en, que je vous sente près de moi." Les heures les plus pleines, alors, sont celles du souvenir ou de l'attente, celles où le coeur s'épand librement, et sans la moindre contrainte
Le coeur peut se persuader qu'il est le maître, les sens sont certains que l'absence supprime les absents. Nous n'avons pas, en réalité, d'amis lointains.
C'est seulement dans les endroits où l'on a fait l'expérience de la solitude qu'on a pour les choses tant d'amitié. Nos rapports familiers avec elle se changent peu à peu en tendresse, et nous en devenons que plus vulnérables. Quand sur une suite de jours vides on jette un regard en arrière, on distingue un certain nombre de monuments commémoratifs. L'habitude n'est pas une simple sujétion, c'est un doux lien; et celle dont on se souvient semble avoir été du bonheur. C'est pourquoi Irène et Portia étaient presque toujours tristes, en regardant pour la dernière fois une chambre d'hôtel. Elles ne pouvaient pas s'empêcher de sentir qu'elles commettaient, en la quittant, une sorte de trahison. Dans des lieux qui leur étaient inconnus, elles recherchaient inconsciemment la familiarité. Ce ne sont pas nos grandes émotions, ce sont nos sentiments courants qui édifient notre demeure intime, si nécessaire. Le besoin de s'attacher quelque part et à quelque chose, voilà ce qui fait que les vagabonds s'acclimatent en un seul jour: partout où nous sentons, fût-ce inconsciemment, nous vivons.