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Critique de Annezzo


Oh qu'il est intéressant ce livre.
Je note, tiens, que les héros du récit sont… deux femmes. Dont une qui parle à la première personne, ce qui m'a un peu perdue d'ailleurs : je sentais plus le "je" chez l'autre personnage, celui de la mère. Anyway, "je" ou "elle", les deux femmes se livrent corps et âme, corps aussi donc, et c'est un homme qui écrit. Eh ben moi aussi, j'ai aimé dans mes textes, écrire en tant qu'homme, alors je comprends cette envie de vivre une - deux - vies de femmes par stylo interposé. Rien que ça, c'est intéressant. Surtout que ces deux femmes sont tout sauf soumises, notamment quand une envie de sexe pointe le bout de son nez. Je note que la plupart du temps, il tombe juste, William en femme. Sauf peut-être, dirais-je, cette facilité à disposer d'elles-mêmes. Disons que je ressens les femmes comme moins libres que ça. Mais ce n'est qu'une nuance, sinon, le pari est plutôt réussi.
Et ça rejoint l'intérêt du roman : entre un intime bien géré, manière (pour la lectrice, et pour le lecteur ?) de se mettre dans leur peau, à l'une et à l'autre, surtout à l'une,
et la petite école de l'espionnage à l'anglaise, assez loin des James Bond et d'autres aventures d'espions moins folâtres,
ça matche.
On y est, on peut le vivre, on a les éléments, les ressentis, les ficelles, les trouilles, les envies, le professionnalisme. On peut s'identifier. Vivre ça au jour le jour. En comprenant petit à petit, moins vite que notre espionne aguerrie et pétrie d'intelligence vive, en se souvenant des leçons des maîtres, en ne dérogeant à aucune règle, seule manière de survivre. Je dis, moins vite qu'elle, mais moi au moins je n'avais pas oublié le précepte premier : ne faire confiance à personne. Jamais. Personne.

Au service de sa majesté, là on comprend ces mots pour ce qu'ils sont : au service. Car c'est relativement une vie trépidante, certes, mais bouh, quasi impossible à gérer sans devenir fou ou éperdu de solitude. Il faut vraiment avoir la conscience de servir, de servir le pays, sa majesté, ou la démocratie ou, je ne sais pas, la paix, pour persévérer dans cette voie.
Mais trépidante malgré tout. Quand semer ses poursuivants devient un jeu, un jeu de survie mais un jeu quand même. Et penser à quelques trucs, que je vous livre là, tenez-vous le pour dit :

- si on veut que la personne qui marche devant se retourne vers vous, sans l'appeler ni le toucher, même à deux trois mètres, il faut mettre ses pas dans les siens, adopter le même rythme de marche, comme une sorte d'écho à ce que la personne fait sans s'en rendre compte. Cet écho viendra titiller son inconscient, donnera du contenu à sa marche, et la personne se retournera immanquablement et sans même s'en rendre compte.
J'ai essayé sans le vouloir, quelqu'un marchait devant moi au même rythme que moi, j'ai repensé au livre, et en moins de vingt secondes cette personne se retournait pour m'observer. Si je m'ennuie un jour dans la rue, je récidiverai en le faisant exprès cette fois !
- le très classique (appris dans Lucky Luke pour ma part, ça remonte !) positionnement dans un lieu public, si possible dos à un mur… Mais aussi (appris récemment après la tuerie du Crocus à Moscou) pas trop loin d'une sortie, en vérifiant qu'on pourra l'ouvrir… Sans parler de l'ouverture du loquet d'une fenêtre des toilettes, s'il y en a une, pour pouvoir s'y glisser en cas de grabuge, là c'est dans le livre que je l'ai appris. Ne pas croire qu'on en sera incapable, (appris dans une arène en Camargue, coursée par une vachette), la peur donne réellement des ailes.
- et cet autre truc, qui m'a semblé glamourissime : quand on veut que l'autre vous embrasse sans oser lui demander, il suffit d'être plus proche de lui physiquement que ce que l'instinct permet. Dans un bar bondé, lors d'une soirée, ou pourquoi pas dans les transports en commun, belle damoiselle se place presque dans le creux de l'épaule de son prince charmant, visage mouvant près du visage de l'autre, et paf… Affaire à suivre, les timides, ça peut être un très bon conseil !
- Il y a aussi "le lieu sûr". J'ai bien aimé ce principe. Et soudain ça a tilté dans ma tête : dans mes recherches sur Oswald/Kennedy, j'ai croisé cette notion, sans bien comprendre. Alors parce que c'est vous, je vous confie mes trois lignes de notes à ce sujet : "Max Long a raconté en 1977 que Oswald était venu chez lui ce 22 novembre 1963 pour régler une dette non spécifiée que Long aurait eu avec des gens de la Nouvelle Orleans. Il habite au 324 east Tenth chez sa mère, quasi à l'angle Patton, là où Tippit a été tué et ce serait "un lieu sûr". Ça a l'air d'être une expression d'agent secret, ce lieu sûr."
Eh ben bingo, c'est bien ça. Rigolo que j'aie noté ces deux mots au milieu des milliers de pages que j'ai ingurgitées sur la question ! Ie "lieu sûr" n'apparait qu'une fois. Merci William Boyd de répondre sans le savoir à mes questions !

Dans la même lancée kennedyenne, là c'est plus pour le gag qu'autre chose, la belle espionne de William Boyd commande un Tom Collins dans un bar. Ah bon, ça ne vous dit rien !!? Pourtant, c'est très connu dans le milieu. C'est avec trois Tom Collins que Sirhan Sirhan, le prétendu assassin de Robert Kennedy, s'est saoulé avant d'oser aborder la fille qui allait l'hypnotiser et lui faire commettre son acte sanglant. Vous voulez la recette ? Si on a plus de 18 ans, on prend 4cl de dgine, on y ajoute 4cl de jus de citron, une petite cuillère de sirop de canne, on mélange lentement avec une longue cuillère, et on complète avec de l'eau gazeuse et une rondelle de citron. Déjà plus sophistiqué que le cocktail de Bond, James Bond, avec son vau-de-ca-marti-nid. Parlant d'espion. (J'ai l'air de critiquer le beau James, mais je suis dingue de Daniel Craig...)

Et alors curieusement, depuis la lecture de ce livre, je ne cesse de penser au pouvoir du crayon à papier, et maintenant, même un stylo m'impressionne. Mais moi msieur-dames, c'est juste pour remplir mon sudoku !

Intéressante aussi cette page d'histoire. Qui m'a sacrément rappelé ce qu'on vit actuellement, et dans le "on" je place ma moitié ukrainienne : même un vrai de vrai président des Etats-Unis, l'homme le plus puissant du monde théoriquement, ne peut rien contre son Congrès quand le Congrès ne veut pas. Je ne parle pas de la Cour Suprême qui vient couper le poil restant avant qu'il ne se rétracte. du temps de Roosevelt, qui comprenait la menace nazie et voulait que les USA interviennent dans la guerre, comme aujourd'hui du temps de Biden, qui a pu aider l'Ukraine mais se retrouve bloqué par la trumpisterie,
il y a comme un jeu de miroir.
Jeu de miroir aussi quand l'héroïne regarde le peuple américain, qui est si bien, au chaud tranquille loin des cris des horreurs et des bombes, et comprend hélas qu'un tel peuple peut à juste titre n'avoir aucune envie de participer à la guerre des autres.
Même si nous sommes sur une petite planète et que le mal est contagieux…

Page d'histoire encore, ce rappel de quelque chose que j'ai appris récemment : on pense que c'est à cause de Pearl Harbour que les USA sont entrés en guerre… Mais en vérité, c'est parce que l'Allemagne a choisi ce moment pour déclarer la guerre aux USA. On utilise d'ailleurs le mot "unilatéral". Une décision unilatérale. C'est quoi, cette formule ? Une déclaration de guerre ne peut être qu'unilatérale ! Tu les imagines autour d'une tasse de thé, après une partie de Cluedo, l'un qui dit à l'autre "tu veux me déclarer la guerre ? On dit quel jour ? que j'ai le temps de rassembler mes officiers pour te faire la déclaration complémentaire. On dit jeudi ? Chez ouatt' ou chez ouam' ? Ok, chez toi, allez, tope là !"

J'ai admiré le boulot de tricotage minutieux et inventif, pour faire circuler de fausses nouvelles avec tout ce qu'il faut de discrétion pour que ça ait l'air vrai. En gros, j'ai tout aimé des missions de la belle Eva… Et je réalise que la partie "je", la génération suivante, les folles années 70, si ça ne m'a pas déplu du tout, ne m'a pas vraiment laissé de traces. Pas mal vu en aération des épisodes tendus d'Eva-t'en-guerre, agréable à lire, mais voilà, rien de plus.

N'empêche, j'en aurais bien repris deux-trois cents pages, des missions d'Eva, son chef, son amant, ses collègues, avant que William-les-deux-femmes ne vienne à finir son livre. Je lui en veux un peu d'y avoir mis un terme. Mais siiiii Willie, il y avait moyen de faire une suite à tout ça, et comment !
Mais que faire, il faut qu'un livre ait une fin, tant pis pour la frustration, c'est la dure condition du lecteur…

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