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Critique de oiseaulire


Voici incontestablement un excellent roman aux accents prophétiques et aux multiples résonances bibliques : car il n'aborde rien de moins que la fin du monde (ou tout au moins la destruction d'une cité).

Il a été publié en 1953, en plein Maccarthysme.

Sous prétexte d'apporter le bonheur à la population, les livres sont systématiquement brûlés parce que susceptibles de contenir des idées, ou pire des opinions. Or toute opinion peut froisser la sensibilité d'une minorité et doit être éliminée pour maintenir dans la société un consensus sur le plus faible dénominateur commun qui se révèle bien étroit ; trop étroit pour cultiver des liens conjugaux, familiaux ou vraiment amicaux. Il s'agit tout bonnement d'une dictature reposant sur l'interdiction de penser et de ressentir. Elle s'est implantée grâce au développement de la technologie, à l'installation omniprésente des systèmes de surveillance, et à l'introduction de l'image dans les foyers. le temps de loisir est assuré par la collectivité et occupé par le divertissement de masse et le sport, de façon à ne laisser aucun temps à la réflexion personnelle. Il règne une terreur insidieuse et asphyxiante, la pratique de l'espionnage et de la dénonciation se sont généralisées.

Je ne raconterai pas l'histoire, que tout le monde connaît depuis le film réalisé par François Truffaut en 1966. Elle est servie par un langage parfois très poétique. Les personnages n'ont pas une psychologie approfondie, ce sont plutôt des prototypes : il y a celle dont les yeux sont déjà ouvert ; celui dont les yeux se décillent et qui entre en résistance (notre héros) ; la femme zombie, épouse du héros, alternant déni et périodes de dépression ; le sage qui s'engage dans la lutte ; le robot exterminateur ; il y a le très ambigu pompier aux allures d'historien et de sociologue lucide, (il a tout d'un membre de l'élite sous couverture afin de préserver son anonymat car il en sait trop pour un simple troufion et accepte trop facilement la mort (supporte-t-il encore de servir le régime qu'il sert ?) ; et il y a enfin les marginaux occupés à garder en mémoire le savoir qui a déserté la société : ils sont le disque dur de cette humanité en déshérence .

Ma seule réserve concerne les pages décrivant l'approche mortelle du robot qui pourchasse le héros. Elles m'ont ennuyée, j'ai trouvé que c'était introduire les facilités du suspens dans un genre littéraire qui n'en avait pas besoin. Mais il s'agit d'un bien léger grief face à la qualité de l'oeuvre.

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury est certes une dystopie, mais surtout un conte philosophique. Il a de quoi nous remplir d'effroi car soixante dix ans après, nous y reconnaissons notre monde d'aujourd'hui : les livres ne sont pas encore interdits, mais n'en change-t-on pas les titres ? Ne rémunérons-nous pas des auteurs pour ré-écrire l'histoire des plus célèbres d'entre eux lorsqu'ils heurtent opinions, ligues, ou lobbies ?

Ces pratiques sont nauséabondes, hypocrites, et constituent autant de crachat à la figure de l'histoire et de la vérité. Changer le titre des «Dix petits nègres» en «Ils étaient dix» occulte la réalité des mentalités coloniales et oppose le déni à ceux qui en ont souffert.

Qui a dit «cachez ce sein que je ne saurai voir» ?

Nous avons fait le premier pas vers le monde de Fahrenheit, espérons que nous nous arrêterons là.
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