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Critique de klakmuf


On ne présente plus Fernand Braudel, Académicien, né en 1902 dans la Meuse et chef de file d'un courant de pensée, l'Ecole des Annales, qui a cherché à unifier les sciences sociales. Par son approche pluridisciplinaire, recourant à la géographie, l'économie, l'ethnologie, la sociologie ou l'anthropologie, il a renouvelé le travail de l'historien. L'Histoire prend de la consistance, s'étoffe et s'appuie sur le temps long. Les individus et les événements passent au second plan, la primauté revenant aux forces sous-jacentes qui structurent et déstructurent les ensembles humains : le milieu, les climats, les langues, les systèmes familiaux, les modes de production, les progrès techniques, etc. L'Histoire n'est plus individuelle et événementielle mais naturelle et sociale, pour reprendre les qualificatifs que Zola attribuait à son histoire des Rougon-Macquart.

Cette approche globalisante ne fait pas l'unanimité chez les historiens mais a eu de prestigieux adeptes, comme Emmanuel Leroy-Ladurie ou Marc Ferro, pour n'en citer que deux. En fait, Fernand Braudel procède un peu comme un peintre : il part du constat d'une France qui se nomme diversité (qu'il avoue aimer par-dessus tout) et brosse, peu à peu, par petites touches impressionnistes, un tableau d'ensemble de l'identité de la France. On aboutit à un résultat qui se veut similaire aux reproductions de van Gogh qui illustrent les couvertures des trois tomes de l'édition Arthaud – Flammarion.

L'auteur part des grands historiens ou démographes (Michelet, Emmanuel Todd et Hervé le Bras, Alfred Sauvy, Jean Bouvier, etc.) mais aussi de ses propres observations sur le terrain.

L'Histoire étant fille de la Géographie (et la Politique sa petite-fille…), le 1er tome traite de l'aire géographique du pays (« Espace et Histoire »). Il illustre l'importance de la géographie dans la formation de la nation française : diversité des paysages, des climats, importance de l'organisation du peuplement en systèmes villages – bourgs – villes. Il aborde la question des frontières naturelles de la France (idée qu'il ne fait pas sienne) et l'infortune de Lyon supplantée par Paris (qui aurait très bien pu être ailleurs qu'à Paris…). Les grandes divisions du pays (oil vs oc, pays de champs ouverts vs bocages), le rôle des fleuves, du couloir rhodanien, les atouts du Bassin parisien ou le relatif désintérêt pour la maîtrise des mers constituent quelques angles majeurs d'approche pour comprendre la formation de la France.

Les deux volumes suivants abordent « Les hommes et les choses », d'abord sous l'angle de la démographie, suivi par une approche économique. L'étude démographique, structurée en deux parties (avant et après 950), fait ressortir des cycles longs de progression lente ou rapide suivis de rechute de la population. Dans la seconde période figure la profonde cassure de 1350 à 1450 marquée par la Peste Noire et la Guerre de 100 ans, qui vit la population française fondre de moitié ! (passant vraisemblablement de 20 à 10 millions environ). Une « saignée » comme la France n'en aurait jamais connue dans son histoire. A partir de la fin du Moyen Age, la progression sera ininterrompue avec des périodes de nette accélération. Mais la France verra aussi son poids démographique se restreindre en Europe après 1800. le dernier volume traite de l'économie, paysanne jusqu'au début du XXe siècle (les types et méthodes de culture, l'importance de l'élevage, de la vigne, du blé) avant de s'ouvrir tardivement par rapport à nos voisins à l'industrie. le monde rural constitue ce que Braudel appelle les infrastructures, tandis que les superstructures englobent les villes, les voies de communication et les activités industrielles, financières et commerciales.

Son étude s'arrête au début des années 1980 et représentait au départ la première partie d'une oeuvre plus vaste. Une seconde partie devait être consacrée à l'Etat, la culture, la société, la France mêlée au monde…, etc. Mais elle n'a pas vu le jour, l'auteur étant décédé entre temps.

Fernand Braudel aime la France, n'hésite pas à le faire savoir et il convoque volontiers ses propres expériences et souvenirs pour étayer ses propos. Mais il n'est pas toujours aisé de le suivre dans ses démonstrations, de comprendre l'idée d'ensemble et la conclusion à laquelle il aboutit. L'ouvrage est foisonnant de références et de citations et cela nuit à mon sens à la cohérence d'ensemble. Je me suis souvent senti « noyé » dans l'enchaînement des innombrables exemples fournis par l'auteur, me demandant où était la « substantifique moelle » ! Il faut saluer, néanmoins, l'immense travail de Braudel, la somme d'archives, de correspondances et de livres qu'il a analysés pour nous offrir une autre Histoire, une Histoire sur la longue durée et par l'approche des sciences humaines. C'est pourquoi je ne saurais me résoudre à lui attribuer moins de trois étoiles Babelio, mais j'ai dû m'acharner pour terminer cet ensemble et la lecture, en diagonale vers la fin, ne fut pas des plus plaisantes. Je vais donc laisser le temps s'écouler et faire son oeuvre d'ensevelissement avant d'essayer de retourner vers les autres études magistrales de Braudel, sur l'époque XVe-XVIIIe, d'une part et sur la Méditerranée et le monde méditerranéen, d'autre part.

En définitive, cette technique impressionniste, séduisante chez Van Gogh, ne m'a guère souri dans le domaine de l'Histoire. Heureusement que l'approche de Braudel ne m'a pas évoqué certaines techniques picturales plus radicales encore, le « dripping » à la Jackson Pollock, par exemple : mon acharnement à terminer l'oeuvre n'aurait sûrement pas suffi…
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