Quelques jours plus tard, les wagons à bestiaux remplis de quatre cent mille déportés hongrois qui vont mourir traversent la Slovaquie.
La traduction m'a définitivement libérée, dis Jenny, à propos de ce livre presque insupportable tant il n’épargne aucun détail à ses lecteurs.
J'ai sans doute, bien tardivement, à travers ces pages, accepté l'assassinat de mes parents, page à page, mot à mot.
(page138-139)
L'image des femmes qu'on va tondre donne la chair de poule. La Libération est un moment qui devrait être joyeux mais qui est plein de tension, de méfiance, je me sens plus seul que jamais, j'attends.
(page122)
Elle a dit cette détermination qui les tenait comme un délire, d'endurer, de persister, de sortir pour être la voix qui reviendrait et qui dirait la voix qui serait le compte final.
(page14)
Qu'on ne vienne pas me parler de deuil si ce mot signifie que les tiens s'éloignent. Au contraire, ils sont là à tes côtés pour te donner le courage de vivre et triompher des épreuves. Ils sont à tes côtés, tu peux compter sur eux.
Faire en sorte que ce soit les personnes elles-mêmes qui accomplissent les gestes de leur humiliation, de leur destruction, est une dimension du totalitarisme. (p. 86)
Parfois, on peut avoir le sentiment que cette histoire si proche n’a existé que dans les nombreux films qui mettent le nom passé en costumes, le recouvrant d’un vernis d’irréalité. Mais aucun réalisateur n’aurait l’imagination méthodique des rédacteurs de prescriptions antisémites. (p. 85)
Certaines choses ayant été vécues, on ne peut plus avoir peur de rien. (p. 15)
Et puis, mieux vaut ne pas y croire
À ces histoires de revenants
Plus jamais vous ne dormirez
Si jamais vous les croyez
Ces spectres revenants
Ces revenants qui reviennent
Sans pouvoir même
Expliquer comment. (p. 14)
En redescendant, j’ai affiché sur le mur un de ses poèmes.
Il dit:
Vous qui passez, habillés de tous vos muscles,
je vous en supplie: faites quelque chose,
apprenez un pas, une danse,
quelque chose qui vous justifie,
qui vous donne le droit d’être habillé de votre
peau, de votre poil.
Apprenez à marcher, et à rire,
parce que ce serait trop bête à la fin que tant
soient morts
et que vous viviez sans rien faire de votre vie. (p. 13)
Charlotte Delbo m’envoie des signaux. Je devine qu’il va me falloir du temps pour les interpréter. Je me souviens qu’elle écrivait: chaque jour un peu plus je remeurs, je reviens d’un autre monde, dites-moi: suis-je revenue de l’autre monde ? Pour moi, je suis encore là-bas et je meurs là-bas, chaque jour un peu plus. (p. 12)