Déjà de nombreuses critiques sur ce récit pudique, plein de tendresse qui parle de la relation forte entre une fille (l'auteur) et son papa brutalement veuf, seul et vieillissant.
L'accompagner en respectant son indépendance, sa personnalité, adapter cette nouvelle relation, avec sa propre vie, ses activités... tout l'éventail des sentiments complexes, et remises en questions lorsque nos plus proches deviennent vulnérables...Un texte d'autant plus attachant et percutant qu'il ne tombe jamais dans le larmoyant...Une complicité père-fille qui doit se construire, se vivre autrement....
.... Ce qui ressort parmi tant d'autres choses dans ce récit, ce sont les exigences de respect et de dignité quoi qu'il advienne:
- Je le regarde rassembler ses affaires, je me souviens de cette inquiétude, de ce doute qui parasitent chaque mouvement quand on est (soudain) vieux et malade, je me surviens de les avoir si souvent observés le coeur serré, observés en faisant toujours semblant de ne rien voir, de ne pas sembler attendre. Nous dissimulons nos trébuchements, nos faiblesses, et n'avons pas d'indulgence pour qui nous les fait remarquer. (p.118)
- Mon père a toujours été hostile à la retraite des objets aussi bien que des êtres humains. Comme je le comprends. (p.125)
Un récit très sensible et vivant... qui parle d'un des sujets les plus délicats de notre société... l'existence et le quotidien de nos grands seniors...où nous n'avons pas à être très fiers du présent, à leur égard...
- Il ne veut pas me faire attendre. Il veut me montrer combien il est autonome, comme disent les journaux et les prospectus. Un homme libre, qui a envie qu'on le laisse vivre en paix. Un homme. Pas un animal domestique. Ou un vieillard infantilisé.- (p.62)
-Lu en 2010-
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Dans ce roman autobiographique, Geneviève Brisac aborde avec courage, émotion et intensité l'une des épreuves les plus douloureuses auxquelles nous sommes tous un jour confrontés : celle de la disparition de nos parents.
Ce sera d'abord la mort de sa mère dans un accident de voiture. Puis celle de son père, un an après, toute aussi douloureuse pour elle mais moins brutale dans les faits.
Ce qui m'a frappé dans ce roman c'est combien l'écriture cerne au plus près les différents états émotionnels que la narratrice va traverser durant ces moments si difficiles à vivre.Et il existe un contraste assez marqué entre le début où la narratrice raconte le bouleversement causé par l'accident de ses parents, dans un récit aux nombreuses ruptures narratives, à l'écriture très émotionnelle, où passe tour à tour son esprit rebelle et sa colère, et la suite du roman où la phrase va s'assagir lorsqu'elle évoque l'année qu'elle va vivre aux côtés de ce père très fragilisé par ce qu'il vient de vivre.
Elle rend compte, avec justesse et doigté, de l'ambivalence des sentiments qui vont accompagner ces derniers moments de vie commune. Retour sur les lieux aimés et porteurs de souvenirs en Bretagne ; moments bénis où tout paraît "comme avant". Mais aussi difficile dialogue avec un environnement amical mais souvent maladroit, pieux mensonges que l'on fait pour épargner l'autre. Toute l'extrême complexité de ces relations qui unissent un enfant avec un parent en fin de vie sont analysés avec lucidité et justesse.
Mais l'évocation de la mort est inévitable et Geneviève Brisac le dit sans fard . Elle le fera très rapidement, dans un phrasé qui redevient nerveux, allusif, pour s'épargner sans nul doute la souffrance de revivre de trop près ces douloureux instants.
J'ai été frappée par le côté très abrupt et pourtant incontournable de la dernière phrase : "... Mourir fait mal autant que naître. Et c'est aussi long."
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Geneviève Brissac nous livre ici un roman intimiste sur le vieillessement des parents .
Un coup de fil et toute la vie bascule , les rôles sont inversés , c'est la fille qui doit s'occuper de son père et cela n'est pas une situation facile pour l'un comme pour l'autre .
Pour le père qui doit faire face à la mort brutale de sa femme mais aussi à la perte d'autonomie et à pour la fille qui n'a pas le temps de faire le deuil de sa mère car elle doit pour la première fois de sa vie prendre en charge son père .
Le sujet est traité avec délicatesse , sans pathos , un thème bien d'actualité dans notre société confrontée pour la première fois au défi du ' grand ' vieillissement .
Un beau témoignage .
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Deux filles, une petite-fille entourent un homme pâle et un peu gris qui n'a jamais fréquenté les cimetières, considérant qu'il y a plus important à faire du côté des vivants, des gens à aider, des ponts à construire, des injustices à empêcher, des femmes à embrasser. Qui se sent obligé ou engagé par qui à quoi ? A quelle instance dédions-nous notre marche hésitante dans l'allée A du cimetière déjà défeuillé, et les chrysanthèmes rouges dont nous décorons la pierre sous laquelle repose maman ? (p.174)
J’ai invité les Butor, dit mon père. J’irai d’abord l’écouter à la Sorbonne, il reçoit une chose honorifique, il fait un discours, ils m’ont gentiment envoyé une invitation. Puis nous dînerons à la Closerie des Lilas. Voudrais-tu être des nôtres?
…
La soirée est belle et douce, je les trouve tous les trois en train de boire l’apéritif, Michel Butor a les joues roses, le ventre rond sous l’empiètement de sa cotte grise, une salopette du soir, il sourit aux anges, il évoque les hommages qui lui ont été rendus aujourd’hui. Elle en profite pour rappeler quelques réjouissances récentes, des colloques en l’honneur de ce même Butor, qui est son époux depuis plus de cinquante ans, peut être cinquante-cinq, cet heureux temps, ce temps si ancien, une exposition que nous ne devrions manquer sous aucun prétexte. Ils ont l’air heureux.
Vous ne pouvez pas imaginer le nombre d’universités qui réclament Michel partout dans le monde. Et nous adorons voyager.
Nous partons vers la Closerie des Lilas. Mon père a l'air épuisé, il est pâle. Il vacille sur sa canne...
L'Inde nous a éblouis, raconte Butor, une civilisation étonnante, des civilisations plutôt, des mythes passionnants, le Gange, les temples, les crémations, sans parler des singes qui nous volaient nos affaires ...
Si on commandait le dîner? propose mon père dont je crains qu'il ne défaille d'ennui.
Je crains aussi que les Butor ne sortent des photos, mais ils ont changé de sujet, et, en mangeant d'excellent appétit, ils évoquent les joies que leur donnent leurs enfants, les étés dans le Sud-Ouest avec leurs petits-enfants, les travaux dans la maison.
Ils resplendissent.
Ils ne posent aucune question.
Ils sont à leur affaire.
Mon père est maintenant jaune citron. Il paie le dîner, attrape sa veste, se prend les pieds dans les lanières de son sac, au revoir, au revoir, et nous marchons dans la nuit, clopin-clopant.
Quelles âmes desséchées, dis-je, quelle aura de vanité efficace, comme on dit la grâce efficace.
Ta mère avait raison, murmure mon père, la littérature durcit le coeur, les écrivains sont des monstres d'indifférence.C'est ce qu'elle disait toujours.
Il y a des boulangers d'une cruauté extrême, dis-je, et des fleuristes nazis.
Mon père trébuche une fois encore, l'alcool, la fatigue, le chagrin, nous sommes devant sa porte, je pianote pour l'ouvrir.
Michel Butor était son meilleur ami, et il n'a même pas prononcé son prénom, murmure-t-il.
Par pudeur, peut être, dis-je.
Mais j'ai des doutes.
Je déteste mon nouveau rôle. La vie privée de mon père ne m’intéresse pas, ne me regarde pas. D’ailleurs, il ne veut pas que nous nous en mêlions. Je voudrais en être dispensée. Etre loin, à l’autre bout du monde. Je le suis davantage pourtant que je ne le crois.
Le docteur Chaïm se moque de moi.
Vous vous accordez tellement d’importance!
Quelle injustice encore.
Que savez-vous de ce que pense votre père? De sa vie? De ses désirs, de ses principes, de ses peurs?
Presque rien, mais trop encore.
Et je ferme les yeux en versant l’eau du thé pour ne pas voir la rouille, les paquets de pâtes périmés, le calcaire, le vieux pain.
Vous regardez quand même.
Je ne veux pas verser l’eau à côté du pot.
J’essaie de faire des visites plus légères, des visites qui ne seraient plus des visites, des je-passais-juste-par là qui ne trompent personne, ni moi, mais je ne veux pas être l’infirmière, je ne suis pas la garde-malade, éloignez de moi la fille répressive, jamais je n’ai voulu priver mon père de quoi que ce soit, elles tournent autour de moi, ces figures hostiles, ô Cordelia, prête moi ton sourire! J’essaie de ne pas prendre trop d’habitudes filiales.
Je relis Le Roi Lear, Le Père Goriot,et le si beau David Golder pour me vacciner contre l’intimité si décriée des filles et de leurs pères. Je lis Anna Freud, Camille Claudel, Jenny Marx, Virginia Woolf. Les Antigones aux pieds englués dans les traces trop fraîches des semelles de leurs pères.
Je relis le Journal de Virginia Woolf. 1928.
« Anniversaire de Père. Il aurait eu quatre-vingt-seize ans. Oui, quatre-vingt-seize ans aujourd’hui,comme d’autres personnes que l’on a connues. Mais, Dieu merci, il ne les a pas eus. Sa vie aurait absorbé toute la mienne. Je n’aurais rien écrit. Pas un seul livre. »
Ce n’est pas votre vie, dit le docteur Chaïm, grandissez donc un peu."
L'écriture est un effort pour s'approcher de la ligne frontière que le secret le plus intime trace autour de lui et la violer équivaudrait à une auto-destruction.
Je ne cesse de creuser ma réflexion sur le travail de crabe de l'écrivain, sa lutte tangente pour approcher sa propre vérité.
Garder l'oreille juste. N'obéir qu'à ses propres critères. Réunir dans une même problématique les questions civiques et le questions littéraires.
Son téléphone portable sonne. Il bondit, je tremble. Il cherche l’appareil partout, la sonnerie nous harcèle, il trouve la bestiole au fond de son sac noir dit mes poches et décroche nerveusement, mais il n’y a plus personne. Il s’acharne sur l’appareil.
Qu’est-ce que c’est encore ?
Il est inquiet. Il s’acharne, il rappelle, j’entends une sonnerie qui se perd dans le vide.
Que veux-tu que ce soit ? dis-je. Qui veux-tu que ce soit ?
Je le regarde rassembler ses affaires, je me souviens de cette inquiétude, de ce doute qui parasitent chaque mouvement quand on est (soudain) vieux ou malade, je me souviens de les avoir si souvent observés le cœur serré, observés en faisant toujours semblant de ne rien voir, de ne pas sembler attendre. Nous dissimulons nos trébuchements, nos faiblesses, et n’avons pas d’indulgence pour qui nous les fait remarquer.
Les nouvelles. Lecture de « Une société », par Anne Alvaro, Geneviève Brisac, Agnès Desarthe.
« … non seulement les femmes se prêtent moins aisément à l'analyse que les hommes, mais ce qui fait leur vie échappe aux méthodes habituelles par lesquelles nous examinons et sondons l'existence. »