Citations sur Le dernier amour de Baba Dounia (55)
La vie à Tchernovo est très agréable, mais elle ne convient pas à tout le monde.
Tout le monde connaît tout le monde, tout le monde sait d’où vient tout le monde, et je suppose que tout le monde pourrait aussi dire quand son voisin va aux toilettes et combien de fois il se retourne dans son lit la nuit. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous vivons les uns sur les autres. Quand on revient à Tchernovo, ce n’est pas vraiment parce qu’on veut vivre en collectivité.
La fille est d’une beauté à couper le souffle – de grands yeux sous des cils épais, et une bouche qui promet des baisers savoureux. Elle flotte un peu dans une robe de mariée qui n’a pas été ajustée à sa taille. Elle a l’air fragile.
On ne peut pas dire qu’elle soit cultivée, elle était trayeuse de métier, c’est une femme simple. Ici, elle n’a même pas une vache, mais elle a au moins une chèvre, qui vit chez elle et avec qui elle regarde la télé quand il y a quelque chose qui passe. Comme ça, elle a la compagnie d’un être qui respire.
comme chaque matin, j’ai un moment de surprise en regardant mes pieds, larges et noueux dans les sandales de marche allemandes. Ce sont des sandales solides, à toute épreuve. Dans quelques années, je ne serai plus, mais elles, elles seront sûrement encore là.
Je n’arrive toujours pas vraiment à me faire à l’idée que c’est le même soleil qui brille pour tout le monde : pour la reine d’Angleterre, pour le nègre qui préside l’Amérique, pour Irina en Allemagne, pour Constantin, le coq de Maria.
L’erreur, ce n’était pas d’avoir choisi le mauvais. L’erreur, c’était de s’être mariée. J’aurais très bien pu élever Irina et Alexei toute seule, et personne n’aurait jamais été autorisé à me dire ce que je pouvais ou non faire de mes pieds.
J’oublie régulièrement l’âge que j’ai. Je suis tout étonnée d’entendre mes articulations grincer, de sentir l’effet de la gravité le matin, en me levant, de voir ce visage fripé et inconnu dans le miroir rayé.
Même quand la situation est tout sauf normale, il faut s’adresser aux autres en utilisant le prénom et le nom paternel. Surtout quand on n’a pas gardé les vaches ensemble.
Et puis, je sais que j’émets autant de radiations que notre terre et tout ce qu’elle produit. Juste après le réacteur, comme beaucoup d’autres, j’ai passé des examens — je suis allée à l’hôpital de Malichi, je me suis assise sur une chaise, j’ai donné mon nom et mon année de naissance tandis qu’un compteur crépitait à côté de moi et qu’une assistante médicale notait les résultats dans son carnet. Plus tard, le biologiste m’a expliqué que ce truc était dans mes os et irradiait tout ce qui m’entourait, si bien que j’étais moi-même comme un petit réacteur.