Oeuvres, tome 3 : Charlotte et Patrick Branwell

Bien qu'elle dise que je ne suis plus jeune, je n'ai tout de même que trente ans. A trente ans rien n'est fait, tout commence seulement. La vie ouvre ses portes.

Shirley

Louis Moore était habitué à une vie paisible. Paisible de nature, il la subissait mieux que la plupart des hommes. Enfermant dans son coeur et dans son cerveau un univers immense, il supportait patiemment d'être confiné dans un petit coin tranquille du monde réel.

Shirley

Ce soir-là, (...) elle s'éloigna de la vallée pour assister au départ quotidien de la lumière et à l'arrivée de la nuit.
Lentement, avec dignité, le Jour se retira. Il y eut un dernier éclat pourpre, après quoi tout fut fini. Le grand spectacle de la nature changeait de décor. La Nuit arriva alors, silencieuse comme la mort. Le vent tomba, les oiseaux cessèrent de chanter. A présent, chaque nid avait reçu ses joyeux occupants, lesquels s'apprêtaient en hâte à prendre leurs dispositions pour dormir le mieux possible.

Shirley

Sir Philip raffolait de littérature ; il composait même des poèmes, des sonnets, des stances, des ballades. (...)
Ses forêts étaient le domaines des fées et des lutins, elles n'appartenaient pas au monde, elles étaient d'ailleurs. Le mystère flottait entre les arbres. Les clairières recevaient une lumière étrange. Les vallons devenaient tour à tour royaume de mort ou du songe.

Shirley

Un jour d'automne serein et doux s'achevait, l'or de l'été de la Saint-Martin mûrissait les prairies ; les bois roussâtres se dépouillaient lentement ; c'était comme une lente vieillesse, sans maladies, sans misères, une vie au rythme ralenti, mais ample et harmonieuse. On pouvait avoir l'impression que cet instant unique se mettrait tout à coup à durer, à se prolonger, qu'il ne finirait plus, qu'il portait en lui le germe de l'éternité. Mais la nature était aussi un enchantement pour qui n'y cherchait point de socle à la statue de ses pensées, pour qui ne demandait qu'à s'émouvoir tout simplement.

Shirley

Les Sympson étaient anglicans : (...)
Mr. Sympson se révéla un homme éminemment respectable, au tempérament irascible, pénétré de piété et agréablement mondain. Son épouse était une femme excellente, patiente, affable et bien élevée. Son éducation avait été comprimée dans un système étriqué de conceptions vieillottes saupoudrées de quelques préjugés, pareils à une poignée d'herbes amères. Elle avait aussi des préférences, mais tellement édulcorées qu'elles ne donnaient plus aucun sel à son existence. Enfin, une telle carapace de bigoterie l'enveloppait que le plat en devenait indigeste. Mieux valait ne pas y goûter. trop soumise pour se plaindre de ce régime, Mrs Sympson n'avait même pas l'idée de réclamer une miette supplémentaire.

Shirley

Si je montre mes trésors à quelqu'un, je puis fort bien soustraire à sa vue une ou deux pierres précieuses -des pierres qui ont pour moi la valeur d'une amulette, quelque sens mystique, et sur lesquelles je ne jette moi-même qu'un regard à l'occasion, de temps en temps, de loin en loin.

Shirley

Un coeur humain est immense et nous n'en voyons le fonds que le jour où la souffrance commence à disloquer ses nuages pour le remplir de son noir ouragan.

Shirley

Je n'aime pas que les tombes soient négligées, qu'un cimetière ait l'air d'être à l'abandon. c'est presque un sacrilège. J'ai envie de clore les paupières pour voir avec les yeux du souvenir.

Shirley

Vous voudriez pouvoir être fiers de vos filles; vous voudriez n'avoir pas à rougir d'elles. Cherchez-leur donc une occupation intéressante qui les élève au-dessus du flirt, des intrigues et des cancans. Maintenez l'esprit de vos filles enchaîné dans les limites étroites d'un horizon rabougri, et elles seront toujours pour vous un objet de raillerie, de souci, peut-être même de disgrâce. Cultivez leur cerveau, donnez-leur de l'espace et du travail, et elles seront vos plus joyeuses compagnes dans la santé, vos plus tendres infirmières dans la maladie, vos plus fidèles soutiens lorsque vous serez vieux.

Shirley