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Critique de Cancie


Dans le Pain perdu, traduit de l'italien par René de Ceccaty, Edith Bruck née Steinschreiber le 3 mai 1931 à Tiszabercel en Hongrie, raconte comment elle a survécu à l'enfer des camps de la mort.
Cette magnifique autobiographie qui commence comme un conte « Il y a très longtemps, il était une fois… », débute dans ce petit village de Hongrie orientale où Edith dont le diminutif est Ditke vit avec ses parents et ses frères et soeurs très pauvrement. Ils appartiennent à la communauté juive et leur vie est empoisonnée par la propagande fasciste, nazie, les habitants du village leur faisant mener une vie impossible, ayant tout pouvoir sur eux et pouvant les empêcher de travailler.
Aussi, quelle joie, lorsque, en avril 1944, le matin après la Pâque juive, leur voisine leur offre de la farine. Aussitôt la mère s'active sur le pétrin, et ainsi durant la nuit, la pâte monterait pour être mise au four à l'aube. Mais, alors que tous dorment, les gendarmes et les fascistes hongrois cognent à la porte qui cède, hurlant l'ordre de sortir dans les cinq minutes. le père, encore en caleçon, sort ses médailles de la Première Guerre Mondiale, prouvant qu'il avait combattu, ils les jettent à terre disant qu'elles ne valent rien et lui pas davantage. Quant à la mère, elle n'avait que deux mots : le pain, le pain, ce pain qui allait être perdu, d'où le titre du livre.
Un moment inimaginable et inoubliable pour cette jeune enfant de treize ans. de plus « Les bourreaux qui parlaient dans leur langue les blessaient avec chacune de leurs paroles, en les dirigeant comme si c'étaient des moutons, vers la petite synagogue, où se trouvaient déjà tous les Juifs du village ». Ils sont ensuite parqués dans un ghetto avant d'être déportés à Auschwitz où la famille est séparée. Edith séparée de force de sa mère, se retrouve avec sa soeur aînée Judit. Elles sont ensuite transférées à Dachau puis au camp de Kaufering et à celui de Landsberg, des sous-camps de Dachau, puis à Bergen-Belsen où encore en février 1945, elles verront arriver, incrédules de nouvelles déportées de Budapest.
Les Américains arrivant, ce sera la longue marche vers elles ne savaient où, pour fuir. « Marsch ! Laufen schnell ! » Marcher ! Vite ! En avant ! Alors qu'elles étaient « des sortes d'épouvantails, flottant dans leurs haillons, le visage creusé, livide, les chevilles, les pieds crevassés d'engelures ».
Edith survivra, elle ne sait comment…
Elle partira à seize ans pour le jeune état d'Israël, s'y mariera avec un certain Bruck, voyagera, fera tous les métiers d'Athènes à Istanbul et finira par s'installer en 1954 en Italie, devenue désormais sa nouvelle patrie : « Pour la première fois, je me suis trouvée bien tout de suite, après mon long et triste pèlerinage ». À Rome, Elle rencontre Nelo Risi, le frère de Dino qu'elle épouse, devenue outre écrivaine, scénariste et réalisatrice.
Avec des mots simples, évitant au maximum les atrocités sans pouvoir évidemment les gommer, Edith Bruck décrit la force hors du commun qui a été nécessaire aux déportés pour pouvoir survivre à la déportation en camps de concentration.
L'auteure ne s'en tient pas seulement à la période de déportation mais raconte aussi l'avant et l'après, donnant ainsi une force supplémentaire au récit.
Elle explique bien comment, malgré déjà les lois raciales et les discriminations dont les Juifs étaient victimes, elle était encore une enfant vivant pauvrement certes, mais entourée de sa famille, ne comprenant pas tout ou ne voulant pas comprendre puis, comment elle est devenue adulte dès son entrée au camp de concentration où elle a appris le pire de l'être humain.
Elle dit également combien il était atroce d'être arrêté, injurié et emmené par ses propres compatriotes.
Mais si elle a survécu, dit-elle, c'est que dans le noir absolu, il y a toujours un moment de lumière et cela a été pour elle la chose la plus importante. Elle raconte l'émotion immense qu'elle a ressentie à Dachau quand un cuisinier lui a demandé son nom, alors que depuis son arrivée au camp, elle n'était plus que le numéro 11152 : elle était à nouveau un être humain ! Autre point de lumière, le jour où un soldat lui a lancé sa gamelle avec un reste de confiture, signe qu'il fallait encore vivre et lutter pour la vie. C'était l'espoir et la force d'aller de l'avant.
Et que dire de l'après-guerre, à leur retour, quand personne ne les a vraiment accueillies, elle et sa soeur. Elles étaient devenues un poids pour la société, même pour la famille. Personne ne voulait entendre ce qu'elles avaient vécu. Elles se sentent de plus en plus seules et abandonnées. C'est en 1946 qu'Edith commence à écrire car elle se sent remplie et « enflée » des mots qu'elle ne peut pas dire et ne peut plus supporter ce vécu, personne ne voulant l'entendre, tous disant qu'eux aussi ont souffert, qu'ils ont subi les bombardements, comme si c'était la même chose… « Ils ne veulent pas nous écouter : c'est pour ça que je parlerai au papier ».
Leur restant de vie n'était plus qu'un poids alors qu‘elles avaient espéré un monde qui les aurait attendues…
Pour Edith, une existence aventureuse traversée d'espoirs et de désillusions va alors commencer la conduisant à travers l'Europe et l'Orient avant qu'elle ne se trouve une nouvelle patrie, l'Italie où elle trouvera refuge, ayant la sensation qu'elle pouvait enfin vivre là.
Dans un dernier chapitre, intitulé Lettre à Dieu, Edith Bruck non croyante, pose cette question : « Oh, Toi, grand silence, si Tu connaissais mes peurs, de tout, mais pas de Toi. Si j'ai survécu, ça doit avoir un sens, non ? »
Malgré ce vécu quasiment indicible tant il est inhumain, Edith Bruck croit en l'homme, en l'humanité, n'a pas de haine mais de la pitié en se demandant comment ils ont pu faire cela… Sa foi est de respecter l'être humain.
Se sentant chargée du devoir de mémoire, à l'image de son ami Primo Levi, elle cultive ce vécu, afin de le raconter aux jeunes pour qu'ils puissent comprendre ce qui s'est passé, et qui peut se passer un jour, qu'on a essayé de détruire un peuple avec la complicité et la collaboration de toute l'Europe. Tous ont permis, sont restés indifférents…
Témoigner de son expérience sans jamais recourir à la haine, tel est son but.
Le Pain perdu d'Edith Bruck, l'une des dernières grandes témoins de la Shoah, est un livre qu'il faut lire absolument, un témoignage bouleversant.
C'est en écoutant l'émission le masque et la plume, sur France Inter que j'ai entendu parler de ce livre, chacun des intervenants ne cessant de louer sa beauté et sa force. Quand, quelques jours plus tard, lors de la Masse critique, Babelio proposait ce bouquin, je n'ai pas hésité une seconde sur mon choix. Et super belle surprise, mon désir a été exaucé. Je ne peux que remercier chaleureusement Babelio et les Éditions du sous-sol !
Vous pouvez également réécouter sur France Inter, L'heure bleue de Laure Adler du jeudi 22 février 2022 consacrée à Edith Bruck.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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