Dans l'amitié d'une montagne

Vieillir c'est comme arpenter un long couloir dont les portes se referment les une après les autres. Le grand défi est d'en laisser au moins une ouverte avant le Grand Noir.

La montagne m'a enseigné une leçon fondamentale : la vraie misère est dans l'extinction des convoitises. En altitude comme en amour, l'essentiel est de toujours repousser la date de péremption. A tout âge, il faut avoir les yeux plus grands que le ventre, désirer au-delà du possible. Équilibrer l'affaiblissement par l'ambition, manifester un appétit sans limites. Afin que jamais ne se relâche la ferveur qui nous unit au monde.

« Quand la neige fond, où va le blanc ? » demandait Shakespeare. Dans la terre qui le bois comme une éponge et le déverse dans les ruisseaux et les rivières. Quand le livre est lu, où vont les pages tournées ? Lesquelles portent à conséquence ou tombent dans le grand puits de l’oubli ? Combien de romans ont retenti en nous, combien ont disparu corps et biens ?

J'ai abandonné depuis longtemps toute rancune ou colère à l'égard de mes parents, je voudrais surtout les réconcilier, les arracher à cette démolition réciproque qu'a été leur union.

L'amitié : c'est d'abord un petit cercle des ardents. Pas seulement le partage d'affinités ou de projets communs mais un dispositif de tentations réciproques. Elle stimule en chacun des facultés insoupçonnées. L'ami vous insuffle l'audace qui vous manque, vous agrandit. Il n'est pas qu'un témoin avec qui évoquer le passé mais une force qui vous entraîne.

Au matin un soleil trompeur vous laisse croire à une journée sereine mais dès midi de vilains nuages floconneux couvrent les monts. Triomphe de la volte-face : en moins d'une heure, l'idylle peut se transformer en cauchemar. Le ciel lumineux devient livide, certains versants prennent une teinte de papiet kraft.

L’hiver, couvert de neige, le glacier évoque une pâtisserie avec ses cônes multiples, sa dentition anarchique. Voire un coulis de vanille renversé sur un gâteau : on le dirait presque verni. L’été́, c’est plutôt un gros lézard sale couvert de rides, de plissements, une procession de poussière, de bois brisé.