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Critique de Berthelivre


J'avais entendu Tal Bruttmann et ses deux co-auteurs en entretien : https://www.youtube.com/watch?v=55fy1rdrDLc
Je suis allée chercher le livre aussitôt.
Je l'ai ouvert, aux pages des photos. Première violence. « Nous regardons dans les yeux des gens qui font face à un malheur d'une ampleur inconcevable, à l'angoisse, à la terreur et à la mort. Nous voyons des gens qui pourraient peut-être encore vivre aujourd'hui mais qui ont été atrocement assassinés peu après les prises de vue, et dont il ne restait plus guère, quelques heures plus tard, que quelques vêtements et effets personnels. »
A cette violence s'ajoute le fait que nous, nous savons, contrairement à ces gens, ce qui va se passer dans les heures qui suivent leur arrivée sur la rampe d'Auschwitz.
J'ai délaissé le livre : il ne se lirait pas comme un roman. Il nécessiterait du temps, de l'attention, un état d'esprit.

Le livre est une étude approfondie de « l'Album de Lili Jacob » aussi appelé « l'Album d'Auschwitz ». Les photos qui le constituent sont connues depuis longtemps. Elles ont été montrées, dès le premier procès d'Auschwitz, en 1947. Serge Klarsfeld, qui signe la préface de l'ouvrage, a réussi en 1980, à en retrouver la propriétaire aux Etats-Unis, et l'a convaincue de le remettre au Musée de Yad Vashem.
Lili Jacob, déportée juive hongroise, a découvert cet ensemble de photos dans le camp de Dora, quand elle a été libérée le 11 avril 1945. Elle a reconnu sur certains clichés, des membres de sa famille, elle s'y est vue aussi. Elle a emporté et conservé l'album. Elle l'avait donc présenté au premier procès d'Auschwitz où elle avait été appelée pour témoigner. Mais elle avait refusé de s'en défaire jusqu'à sa rencontre avec Serge Klarsfeld.

Les trois auteurs de l'ouvrage ont replacé l'album de Lili Jacob dans son contexte ; Ils détaillent d'abord le fonctionnement d'Auschwitz, ses constructions, son évolution, sa hiérarchie, ses ingénieurs, ses responsables successifs, son « personnel » et retracent la carrière de Rudolf Höss, commandant du camp (dont Robert Merle a fait le personnage principal de « La mort est mon métier »). « Rudolf Höss joua un rôle notable, pour ne pas dire le rôle central, dans la transformation du KZ Auschwitz en le plus grand camp de concentration du national-socialisme. »

Ils évoquent les activités parallèles à l'extermination, et l'importante organisation qu'elles nécessitaient : récupération et tri des affaires personnelles des déportés, comptabilité de leurs effets et objets précieux, expédition vers le territoire allemand de ce qui pouvait avoir une utilité, etc…

Ils donnent des chiffres inconcevables. « Au cours de ces cinq journées (à compter du 21 mai 1944) ce sont au moins 19 transports, soit un total de plus de 62.500 personnes qui étaient arrivées à Auschwitz- Birkenau (…) Environ 80 % d'entre elles, c'est-à-dire plus de 50.000 hommes, femmes et enfants, furent assassinées immédiatement après leur arrivée dans les chambres à gaz. » Simone Veil a parlé souvent de ces convois de Hongrois qui se sont succédé à une fréquence infernale.

Ils rapportent aussi des extraits de déclarations faites par des participants du massacre, dans les années qui ont suivi la guerre. Des phrases d'une précision brutale qui ne laissent rien dans l'ombre.

Enfin, ils retracent la déportation des Juifs de Hongrie, de leur recensement jusqu'à leur arrivée à Auschwitz, et les préparatifs intenses du camp dans cette perspective. « le Sonderkommando qui devait s'occuper de différentes tâches à Auschwitz, comme la crémation des corps ou la récolte de l'or dentaire, fut augmenté pour atteindre un peu moins de 900 hommes. »

Les auteurs font la description et le portrait des deux photographes, auteurs de ces photos de l'arrivée des convois venant de Hongrie à l'été 1944. Les pages de l'album sont ensuite intégralement reproduites.

Et les auteurs de l'ouvrage les analysent dans leur ensemble et individuellement.

Un travail monumental, par les recherches documentaires d'une part, et surtout par l'étude détaillée de chaque cliché qui a permis de reconstituer tout le processus, le parcours méthodiquement défini qui attendait les déportés, de leur descente des wagons jusqu'à la chambre à gaz et à la crémation.

Mon étonnement a été de ne pas voir de violence en tant que telle, dans ces photos. Des foules, des visages, des regards, anxieux, parfois hagards ou épuisés, mais pas de terreur ou de panique. Pensant aux témoignages de rescapés qui parlent de hurlements, de bousculades, de coups, d'hommes en armes avec des chiens-loups effrayants, à l'arrivée sur la rampe, je m'attendais pourtant à des images d'une brutalité absolue.
Mais Tat Bruttmann et ses co-auteurs sont arrivés à la conclusion que cet album était destiné à faire office de rapport aux autorités et qu'il fallait montrer que toute « l'opération » se déroulait dans le calme et l'ordre, de façon fluide et efficace. Donc, pour les besoins du rapport, on a fait sortir du champ tout ce qui aurait pu suggérer un défaut d'organisation, un manque de maîtrise.
Mon regard sur les photos n'en est que plus terrifié.
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