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3,47

sur 80 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Lauréat du Booker Prize 2018, Milkman se démarque par son style, son univers lexical. Une singularité qui pourrait bien perdre son lecteur si elle na cachait une évocation parfaitement maîtrisée des situations de harcèlement et de peur.

Nous sommes dans les années 70, dans une ville qui n'est pas nommée soumise à des troubles liés à deux factions de religion différente. Bien sûr, nous comprenons facilement que nous sommes au coeur de la guerre civile irlandaise. Mais le vocabulaire restera imagé avec le pays « de l'autre côté de l'eau » ou le camp « de l'autre côté de la route ». L'auteur entretient le mystère, la dissimulation, le silence. Effectivement, dans ce climat de terreur, aucun habitant ne peut dire franchement les mots. Mais, peut-être, est-ce aussi pour laisser une place à l'histoire individuelle de la narratrice, une histoire de harcèlement qui peut se passer n'importe où.

La narratrice a dix-huit ans, elle ne sera jamais nommée que « soeur du milieu ». Elle vit avec sa mère et les trois dernières filles, les « ch'tites soeurs ». Deuxième et quatrième frère ont disparu suite au conflit, l'un a été abattu, l'autre est en cavale. Les gens n'ont pas de prénom. D'ailleurs beaucoup sont interdits. Alors, elle fait du footing avec « troisième-beau-frère », a une relation avec « peut-être-petit-ami ». Vous l'avez compris, le décor est plus ou moins poétique et étrange. Mais cela ne s'arrête pas aux dénominations. Les comportements, les lieux sont eux aussi singuliers.

A cause des Troubles, personne ne voit plus ni ne se comporte plus normalement. Pour les habitants, le ciel est bleu. Impossible d'en saisir d'autres nuances.

Même enfant je savais – peut-être parce que j'étais enfant, justement – que ce n'était pas vraiment un phénomène physique; je savais que cette impression lugubre, voilée, cette déformation de la lumière avait à voir avec les problèmes politiques, avec les douleurs, les troubles accrus, l'espoir perdu, le manque de confiance, et une nouvelle incapacité mentale que personne ne semblait vouloir ni pouvoir surmonter.
Chaque geste est mesuré par crainte des ragots, d'être photographié, fiché. Ne vous promenez pas dans « la zone des dix minutes », il ne reste que ruines et engins explosifs. L'époque était paranoïaque.

La rumeur, on commence, on continue, on s'y embourbe, on n'arrive plus à s'en sortir, voilà, en gros, pourquoi on ne m'arrêtait plus.
C'est dans cette ambiance que la vie de la narratrice, harcelée par le Laitier, un renonçant haut placé et marié, va basculer. Elle qui lisait-en-marchant, essentiellement de la littérature du XIXe siècle, une manière de refuser de voir et de savoir, qui vivait son histoire d'amour avec peut-être-petit-ami, sans vouloir trop s'engager pour trois raisons bien identifiées, travaillait, prenait des cours de français va devenir la proie d'un prédateur et la victime de tous.

L'auteur excelle à montrer comment s'installe la peur, comment elle bouscule le corps. Colère, cauchemars, refus de voir les gens qu'elle aime pour ne pas les impliquer. Son monde s'évanouit. Par tous, elle est vue comme une « dépassant-les-bornes. »

De manière étrange, avec un roman d'initiation dans lequel se pose le choix du bon partenaire de vie, Anna Burns illustre l'ambiance d'une ville en pleine guerre civile, traumatisée par les rumeurs et les peurs d'un conflit où chacun est l'ennemi de l'autre.
Lien : https://surlaroutedejostein...
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Une lecture exigeante pour une écriture et un style extraordinaire qui vous fera forcément sortir des sentiers battus et vous demandera une attention particulière mais qui au final vous laissera perplexe.

Il faut être curieux, accepter d'être bousculé, pour découvrir à votre tour ce fabuleux roman, terriblement atypique qui a remporté en 2018 le Man Booker Prize, le Orwell Prize for fiction et le National Book Critics' Circle Award en 2019.

Chronique complète sur mon blog ma dose d'encre lien ci-dessous :
Lien : https://madosedencre.overblo..
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Ce livre est étonnant, il faut le savoir…

Ecrit à la première personne, sans paragraphe, d'une traite, comme si la jeune fille n'avait pas le temps… ou débitait tout comme une mitraillette…
Cela peut paraître ardu, aride, déroutant.

Nous sommes en présence d'une jeune fille de 18 ans qui n'est pas nommée, juste par son qualificatif « soeur cadette », elle aime lire (beaucoup), partout (en marchant notamment), le jogging, et s'isole ainsi de la violence autour… car nous sommes plongés, sans la nommer, dans l'Irlande du Nord, en plein dans la guerre sanglante, et l'oppression, la puissance et la peur se ressentent, justement, dans cette écriture au cordeau.

Un jour, cette jeune fille est prise pour cible par un homme, plus âgé, « le laitier », un mec d'un groupe armé… et par son beau-frère dont elle a éveillé la curiosité… Étrange famille également, citée uniquement par « soeur aînée, troisième beau-frère » et son « peut-être petit-ami »…

Il y a très peu de dialogue, ça va et ça vient, des digressions çà et là, des conversations incluses dans un paragraphe, comme ça, posées là, un peu brutalement.

On sent la violence de cette guerre, à travers l'histoire de la famille (un frère tué par balle, un beau-frère dans une voiture piégée, un autre frère en fuite, une soeur exilée mariage à un protestant, etc.)…

La vie quotidienne est décrite et la séparation aussi… il y a « nos » et « leurs », à propos de tout ; il y a les magouilles des uns et des autres, les paramilitaires dans les deux camps qui pointent la population au gré des règlements de compte, la méfiance envers la police et les autorités (ne pas se faire remarquer, ne pas se faire remarquer !)…

On suit alors les on-dit, les défiances, les ragots, la descente de la jeune fille, sa vie, ses peurs…

C'est âpre mais fascinant, rude mais brutal.

C'est un livre exigeant surtout au niveau de l'écriture de l'auteur, de l'assemblage de mots… on ressort lessivé(s) de sa lecture, essoré, haletant comme si on avait vécu cette période sanglante, oppressante et douloureuse…

Si vous avez les romans aérés, avec dialogue, sans de trop longues phrases alambiquées, passez votre chemin…

Si vous aimez les chemins tortueux avec prise de tête (et quelques bons mots, à l'humour irlandais), suivez la lectrice en marchant !
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An interesting book on a subject (the separation of Ireland and its civil war) I didn't know much about. The author makes us feel the oppression, the power of the rumour, the fear, the blackmail.
There are a lot of digressions, which make the reading slowler. I also got surprised that there is no dialogs in the book. When there is a oral exchange, it is all in the same sentence. It makes the narrative heavier.

I like the "reading during walking" habbit. If only, I could do this !
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Irlande du Nord, années 70, la narratrice a 18 ans, elle est issue d'une famille de douze enfants et elle est qualifiée de « soeur du milieu ». Un qualificatif qui lui vient de son père, maintenant décédé, qui éprouvait des difficultés à se rappeler des prénoms de tous ses enfants. La jeune femme travaille, fait du jogging, lit en marchant et fait tout pour rester invisible durant cette époque si troublée. Mais ses stratégies pour rester à l'écart, à l'abri ne fonctionnent pas, bien au contraire. Elle est vue dans le voisinage comme une » dépasseuse-de-bornes » et à ce titre elle va attirer l'attention et les commérages. Ceux-ci vont partir d'une rencontre avec Laitier (qui n'est pas du tout laitier), un paramilitaire important qui s'intéresse à elle. La rumeur va alors s'amplifier de manière démesurée.

« Milkman » m'intriguait depuis que ce roman a remporté le Man Booker Prize en 2018 et il me tardait de le découvrir. Et le roman d'Anna Burns est à la hauteur de mes attentes. Sa forme narrative originale est exigeante pour le lecteur. le texte, écrit à la première personne du singulier, est le flot de pensées de la narratrice. Il n'y a pas de paragraphe, pas de respiration pour le lecteur. Les idées de la narratrice se déclinent en nombreuses digressions qui toutes apportent quelque chose au récit. le texte est extrêmement dense, presque étouffant. Mais la forme est en adéquation le fond puisqu'il est ici question de violence et de harcèlement.

La violence est d'abord politique. Anna Burns est née en 1962 à Belfast, elle retranscrit donc parfaitement le conflit d'Irlande du Nord : les paramilitaires, la police d'État, les écoutes, les morts violentes, le couvre-feu, etc… La suspicion, la paranoïa dominent dans cette société qui fonctionne par quartiers comme de petits villages. Tout le monde connaît la vie des autres et s'en mêle à coups de rumeurs qui ne font qu'accroître la peur ambiante. Rajoutez à cela le poids de la religion, du patriarcat et vous comprendrez mieux pourquoi notre jeune héroïne tente de passer inaperçue. Malheureusement pour elle, sa jeunesse et sa beauté retiennent l'attention du Laitier. Et comme elle a scrupuleusement rendu l'atmosphère de terribles tensions de cette époque, Anna Burns montre avec justesse les mécanismes du harcèlement. Les rumeurs s'immiscent petit à petit dans le cerveau de la narratrice. L'étau se resserre, le Laitier sait endormir sa proie par le langage, par sa présence insistante et tenace. La jeune femme exprime un engourdissement de sa pensée, elle finit par ne plus pouvoir prendre du recul. Elle s'enferme de plus en plus et ne trouve d'appui nulle part. Son récit est proprement saisissant.

« Milkman » est un livre unique dont la lecture est un peu déconcertante au début mais qui s'avère très riche et d'une étourdissante maîtrise narrative.
Lien : https://plaisirsacultiver.com/
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Années 70, Belfast, quartier catholique. Une jeune fille ordinaire, conformiste, parfaitement dans le moule que la communauté construit pour chacun de ses membres (si ce n'est qu'elle attire l'attention sans même s'en rendre compte parce qu'elle lit en marchant), se retrouve bien malgré elle au centre de l'attention et surtout de la rumeur malveillante.

Car dans une communauté en proie à la guerre, à la violence, à la haine envers les autorités, au repli sur elle-même, il ne fait pas bon être au coeur de l'attention. C'est à une véritable psychanalyse d'une communauté que l'auteure se livre. On voit ainsi le système totalitaire insidieux qui s'est mis en place avec une surveillance de chacun par tout le monde, un contrôle social permanent, les ravages d'une rumeur toujours malveillante, un jugement quotidien dès qu'une personne s'écarte quelque peu de l'étroit chemin dans lequel chacun est sensé évoluer, les dénonciations quotidiennes et la paranoïa qui en découle, la toute puissance des maitres des lieux, à la fois défenseurs admirés et administrateurs craints des quartiers. Tous les mécanismes mentaux, collectifs et individuels, qui dirigent le quartier sont décortiqués avec brio, tantôt expliquant pourquoi une mère préfère croire la rumeur que sa propre fille tantôt expliquant pourquoi personne ne choisit la personne qu'elle désire et préfère consciemment passer à côté du bonheur.

L'histoire est formidable, d'une profondeur incroyable, mais le style la rend parfois difficile d'accès. Les paragraphes sont très longs (parfois 3-4 pages), remplis de digression et on peut franchement s'y perdre. Mais si on parvient dans la lecture à faire abstraction de cela, on plonge dans l'âme intime, abîmée, obsessionnelle de sa réputation d'un peuple martyrisé par L Histoire, à travers celle d'une jeune fille qui ne demandait qu'à être invisible mais qui est remarquée et harcelée par un des chefs du quartier.


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Anna Burns façonne une héroïne singulière qui n'a que son impassibilité à offrir en pâture aux questions gênantes, que ses pensées démultipliées qui trottent comme bouclier contre le prédateur qui veut en faire sa propriété. Dans ce roman épatant qui interroge la notion de consentement, d'espace intime et le pouvoir pervers de la violence physique et des moqueries, pointe aussi un humour oblique et salvateur qui permet de prendre un peu de recul par rapport à un quotidien étouffant. Il s'agit du portrait d'une Irlande ouvrière dure.

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Belfast est gangrenée par la violence. la narratrice y occupe une position qu'elle sait marginale et ne s'intéresse à la politique; Anna Burns dissout ici les cartes et les identités de façon à créer un climat d'autant plus asphyxiant, qui résonne bien au-delà de Belfast. Elle façonne une héroïne singulière qui n'a que son impassibilité à offrir en pâture aux questions gênantes, que ses pensées démultipliées qui trottent comme bouclier contre le prédateur qui veut en faire sa propriété. l'action se déroule Elle réside dans un quartier qui est une enclave ouvrière nationaliste et catholique, sordide et misérable à souhait. Chaque famille a connu plusieurs deuils successifs. Naturellement, le ton est fort peu amène. Il s'agit de réalisme social qui évoque le cinéma de Ken Loach.
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La narratrice est une jeune fille de 18 ans, elle a une grande famille, trois chtites soeurs, quatre frères, quatre grandes soeurs, une mère qui ne l'écoute pas, elle aime lire en marchant, et ne se mêle pas vraiment aux autres.
Un beau jour, Laitier (le faux pas le vrai) décide d'en faire sa proie, il commence alors un lent et subtil travail de harcèlement, aidé en cela par les ragots galopants et grandissants.
Petit à petit, la jeune fille va se renfermer, rejeter ce qui la définit, lire-en-marchant, son peut-être-petit-ami, le jogging, afin de en plus donner prise à Laitier.

Ce roman a reçu le Booker Prize en 2018 et je n'en suis pas surprise.
Ce style bien particulier, ce contexte atypique, peuvent faire reculer, et m'ont déroutée pendant les premières pages.
Mais je me suis vite habituée au débit de "soeur-du-milieu, puisque c'est le seul nom sous lequel elle sera nommée, j'ai dénommé moi aussi les personnages par leurs liens avec elle ou par leurs fonctions plutôt que par leurs noms, j'ai écouté les clics émanant des buissons.
J'ai également trouvé les digressions assez réussies car sans en avoir l'air, elles nous ramènent toujours là d'où on était parti, comme si la même scène nous était donnée à contempler mais riche d'informations supplémentaires.

Une lecture déroutante certes, mais fascinante, dont j'aurais aimé lire la version originale tellement elle doit être savoureuse.

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Il semblerait qu'il y a deux ou trois ans, au Congrès annuel des traducteurs de livres étrangers, l'orateur "peut-être-Président" a transmis aux traducteurs présents le message suivant :
"Variez les mots utilisés, quitte à en choisir d'anciens, déclarés tombés en désuétude. Surprenez les lecteurs. Par exemple, prenez "derechef" au lieu de "encore une fois", "de nouveau", etc... Plus aucun écrivain français ne l'utilise depuis presque cent ans."
Hélas, la dame qui a procédé à la traduction de "Milkman" était présente, attentive et obéissante.
Corollaire : nous supportons DIX FOIS "derechef", dont une page magique, avec trois fois en quelques lignes !
Dans un livre avec une écriture aussi moderne et inédite, c'est épuisant, sinon choquant. Sauf à me prouver que Miss Burns utilise l'autant obsolète "anew" dans la V.O.
Je ne peux, en matière de travail de traducteur, m'empêcher de conclure en citant la meilleure traduction de tous les temps : dans "Joseph Balsamo", Alexandre Dumas nous a gratifiés du mémorable "Ah, dit-il en portugais"...
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