AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,47

sur 80 notes
L'auteure conte l'Irlande du Nord , elle s'inspire de la période des Troubles dans les années soixante - dix qui ensanglanta la province britannique durant trente années .
Dans ce roman à la première personne , la jeune fille en question n'est jamais nommée excepté par le qualificatif de «  soeur du milieu » .

Grande lectrice , elle lit en marchant , ce qui attire méfiance et quolibets .
Elle agit par réflexe , pense et pense sans cesse , nous emporte dans le flot rigide et agité , très agité de son esprit .
Elle ne désire pas que sa mère découvre celui qui est «  peut - être son petit ami » , ainsi que pour cacher à tous qu'elle a croisé le chemin de ce milkman qui la poursuit de ses assiduités .
Les lieux ne sont jamais nommés , les hommes et les femmes non plus , l'auteure situe son histoire dans un village «  de ce côté de l'eau » , loin de l'Angleterre et des loyalistes , proche mais quand même loin, résolument fermé à leur influence.
«  Soeur du milieu » la narratrice habite dans un district de «  renonçants » nationalistes déterminés , vit dans une famille endeuillée comme beaucoup. …
Bientôt «  un laitier » qui ressemble plutôt à un paramilitaire jette son dévolu sur elle , vingt - sept sans les séparent .
Bien sûr cancans , commérages , indiscrétions , rumeurs enflent ….
Silence et refus d'entendre , harcèlement ne cessent …

J'ai été engloutie , alourdie , engluée capturée par cette langue , une logorrhée hallucinée autant que l'héroïne piégée dans ce milieu orthodoxe catholique , orthodoxe et rebelle ….
Cette logorrhée hallucinée plonge le lecteur dans une ambiance sombre , déprimante , sinistre , lointaine .
Les répétitions , les longues , très longues phrases ayant pour toile de fond les troubles de ces années - là en Irlande signent une écriture imaginative , inventive , tout à fait singulière , étrange audacieuse , un livre très exigeant , doté d'un style où le lecteur doit prendre le temps de s'habituer .
Un ouvrage sous tension , original, immersif, à l'action très lente , au coeur du conflit nord- irlandais .
Une adolescente raconte avec ses mots à elle la violence et les rumeurs multiples d'une société entière déchirée par la guerre civile ….
Un livre troublant qui fait réfléchir .
Commenter  J’apprécie          353
Ce roman hypnotise, la logorrhée hallucinée de la narratrice englue le lecteur dans l'action lente, et cette ambivalence crée une sorte de charme impossible à rompre. L'anonymat de chacun et de chaque lieu, les phrases longues et la ponctuation briseuse de rythme confèrent à Milkman une singularité intense et le pouvoir de redonner vie à une atmosphère, à un monde, celui de l'Irlande du Nord dans les années 1970 (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/05/05/milkman-anna-burns/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
Commenter  J’apprécie          280
C'est le troisième roman d'Anna Burns qui lui a permis de remporter en 2018 le Booker Prize, et une reconnaissance internationale, avec la traduction en français parue dès 2021.

Nous sommes dans une ville qui n'est jamais nommée, mais dans laquelle tout le monde reconnaît Belfast des années 70. Une jeune femme de 18 ans, jamais nommée, essaie tant bien que mal à vivoter dans un pays en proie à la guerre civile. Elle essaie de passer inaperçue, tout en tentant de sauvegarder son espace de liberté personnelle. Car le monde dans lequel elle vit, en plus d'être dangereux, est un monde dans lequel tout le monde observe tout le monde, juge tout le monde, et souvent condamne ceux qui sortent d'une norme non écrite, mais impossible à contourner. Mais elle a attirée l'intérêt d'un paramilitaire influent, qui dresse autour d'elle un entrelacs pour se l'approprier. Il connaît ses moindres habitudes, se place sur son chemin, laisse planer des menaces, fait ce qu'il faut pour que toute la communauté la pense à lui. Elle ne paraît pas avoir d'échappatoire.

C'est sans doute une description fidèle du ressenti d'un certain nombre d'habitants de Belfast pendant cette période difficile, ce sentiment d'impuissance, d'instrumentalisation, d'impossibilité de pouvoir être soi-même et de mener une vie à sa convenance. Et tout cela encore bien plus difficile pour une femme, soumise au pouvoir de ceux qui ont la violence pour eux, légitimée par leur communauté. Mais j'ai trouvé aussi quelques évidences, et surtout je n'ai pas adhéré au style, à l'écriture. Personne n'est appelé par son nom, tout et tous son nommés par des sortes de paraphrases, qui répétées deviennent un peu lourdes. le moindre mini événement est décrit avec un luxe de détails, dans lequel il se dilue. L'action du livre s'étire aussi un peu à mon sens, il y a des histoires parallèles, un peu longues à mon goût.

Une rencontre qui ne s'est pas vraiment faite pour moi.
Commenter  J’apprécie          224
Mon coup de coeur de l'année.
Anna Burns nous invite à une plongée en apnée dans le conflit nord-irlandais à travers les yeux d'une jeune narratrice de 18 ans. Il faut retenir son souffle et se laisser porter par le flot, les vagues de souvenirs, réminiscences, divagations qui déferlent en longues phrases et paragraphes couvrant toute la page sans alinéa et ne donnant pas de répit.
Elle a tant à dire et à raconter cette "Soeur du milieu", confrontée, après ses années de lycée, à une entreprise de harcèlement sexuel de la part d'une figure du mouvement paramilitaire de lutte contre le gouvernement, dans un contexte que l'on pourrait qualifier de guerre civile. le coup de génie de l'autrice est d'avoir croisé la dimension sociale et politique du conflit et le vécu d'une adolescente qui fait l'expérience des relations avec les hommes dans une société patriarcale marquée par la violence et les crimes quotidiens. La petite histoire individuelle d'une prédation sexuelle rencontre et percute la grande Histoire de l'Irlande du Nord et les deux histoires se potentialisent.
Bien que les fratries soient décimées, que les règlements de compte soient fréquents, les mouchards exécutés, que la paranoïa entre les quartiers, les familles ou les membres d'une même famille règne, le ton du récit, dense, profond, intelligent, n'est ni larmoyant, ni pathétique et c'est la deuxième réussite du livre.
Milkman est une sorte de conte, grotesque, où les personnages qui n'ont pas de nom sont un peu caricaturaux. Les neuf frères et soeurs de la narratrice sont désignés en fonction de leur rang, son petit ami est "peut-être-petit-ami", le persécuteur le "laitier"... Il y a le pays "de l'autre côté de la route" et celui "de l'autre côté de l'eau". Les "défenseurs de l'Etat" combattent les "renonçants à l'Etat". Cette mise à distance donne une portée universelle au propos de l'autrice.
Et puis, il y a les "dépasseurs-de-bornes" dont fait partie Soeur du milieu car elle refuse de se conformer aux règles de cette société sclérosée, corsetée, rongée par les ragots et les préjugés, meurtrie par les tensions sociales, ethniques et religieuses.
Certaines scènes du livre sont marquantes, celle de la professeur de français qui fait découvrir à ses élèves un peu bornés que le ciel n'est pas toujours bleu, et surtout celle de la tête de chat, que la narratrice découvre dans un endroit qui échappe à la réalité et qu'elle veut absolument enterrer. C'est un concentré de poésie et d'ésotérisme.
Milkman est un magnifique livre sur une jeune fille à qui on prête une liaison avec un terroriste, et qui, prise dans un faisceau de tensions et de contradictions, essaie désespérément de se protéger et de trouver son chemin et son autonomie dans un pays en guerre.



Commenter  J’apprécie          218
Je pense que ce roman est important, car il retrace de façon approfondie l'ambiance délétère de la période des Troubles en Irlande du Nord (le lieu n'est jamais nommé); il fait le choix de retranscrire en continu le monologue intérieur d'une jeune fille. Je comprends qu'on puisse le trouver fascinant.
Pour ma part je n'ai pas du tout, du tout, accroché à l'écriture d'Anna Burns. La traduction de Jakuta Alikavazovic n'est pas en cause, son travail me semble parfait, mais je n'ai pas réussi à entrer dans l'oeuvre, malgré plusieurs tentatives. Ce style d'écriture, peut-être inspiré de James Joyce (que j'ai eu aussi du mal à lire) n'est pas mon truc. Donc, selon l'adage : “Si tu n'aimes pas, n'en dégoûte pas les autres”... je ne le note pas, à vous de le découvrir.
LC thématique d'octobre 2021 : ''Cap au Nord !''
Commenter  J’apprécie          200
Bon allez, j'annonce directement la couleur : ce roman m'a éblouie. L'évidence du coup de coeur m'a frappée dès le début de lecture. L'impression que des vannes venaient brusquement de s'ouvrir, un fourmillement, une jubilation. Élan, enthousiasme, admiration. le besoin constant d'y revenir, l'envie de noter des pages entières, de relire certains passages pour comprendre saperlipopette mais comment réussit-elle à en dire autant ?! L'impression sidérante d'avoir été téléportée, à une autre époque, dans une autre vie. Un récit passionnant qui offre autant de contenu que d'émotion. Et quel humour !

Milkman était sur mes étagères depuis quelques semaines et j'attendais le bon moment pour m'y plonger, pensant que la prose serait ardue et l'histoire pas forcément très attachante. En fait, Milkman, c'est tout le contraire. J'ai eu envie de le commencer en lisant la chronique de Sonia (à découvrir sur son blog Books, moods and more, ici – un grand merci à elle). Bien sûr, en bonne brestoise habituée à un océan à seize degrés au mois d'août, avant de plonger j'y ai trempé un orteil et demi – histoire d'être sûre de ne pas y laisser des plumes… Verdict : au bout de même pas deux pages, je faisais le sous-marin en éclaboussant partout, transformée d'allégresse en chien fou.

Certes, Milkman est un roman singulier, et le flux de conscience de la narratrice impose des pauses régulières pour reprendre son souffle. L'action est lente, mais l'ivresse – et souvent les émotions –, intense(s). Pendant cette lecture, j'ai vécu une immersion comme jamais auparavant dans l'époque des Troubles en Irlande du Nord.

Dans ce roman, personne n'est nommé, aucun lieu, aucun pays. C'est « peut-être-petit-ami », « troisième beau-frère », « première soeur »… Il y a les gens « de l'autre côté de la route », ceux « de l'autre côté de l'eau » et « de l'autre côté de la frontière ». Honnêtement, je pensais ne pas accrocher à cette absence de noms, ou qu'au mieux cela alourdirait considérablement ma lecture ; et bien pas du tout. On se fait très bien à ces noms génériques pour la famille, les amis, les voisins, les Protestants, les Britanniques, ceux de la République d'Irlande, et au contraire, tout prend beaucoup plus de corps – et de vision –, dans cette distanciation anonyme.

« Tous les jours de la semaine, qu'il pleuve ou qu'il vente, sous les balles ou sous les bombes, en période d'accalmie ou en pleines émeutes, je préférais rentrer à pied en lisant mon tout dernier bouquin. Un livre du dix-neuvième siècle, à tous les coups, car je n'aimais pas ceux du vingtième, comme je n'aimais pas ce siècle. »

Milkman, c'est le monologue intérieur d'une jeune femme pendant une guerre civile qui ne dit pas son nom. Soeur du milieu d'une fratrie (très) nombreuse, elle aime lire en marchant et ne pas se faire remarquer, mais devient brusquement la cible des commérages de toute une communauté, lorsqu'un laitier qui n'en est pas un s'intéresse à elle – plus âgé, marié, haut placé chez les paramilitaires renonçants-à-l'État : la rumeur publique leur prête derechef une liaison. Elle nous emporte dans sa vie, au fil de l'eau, de fil en aiguille, la vie de ceux qui « tentent de vivre en civils des vies aussi ordinaires que les problèmes politiques, ici, le permettaient ». Elle raconte et explique, s'interroge et digresse, essaye de comprendre mais voudrait aussi ne rien savoir sur cette réalité de la vie de tous les jours, dans laquelle tout devient politique, même gagner à une loterie le carburateur d'une voiture dont on est raide dingue, avoir un chien ou regarder un coucher de soleil. La rumeur et les commérages s'emparent de tout et le plus souvent, de rien, pour en faire une montagne, voire un piège. Elle raconte comment les vies sont broyées par l'époque et ses continuelles et aliénantes violences militaires et sociales – et on plonge avec elle.

« C'est que je ne parlais de rien à personne – en partie parce que je n'avais pas l'habitude de confier quoi que ce soit à qui que ce soit, en partie parce que je n'aurais pas su comment ni quoi dire, et en partie aussi parce que je n'étais pas encore sûre qu'il y ait quoi que ce soit de précis à raconter. »

Il y a du génie dans la plume d'Anna Burns, fluide, rythmée et parfaitement maîtrisée. Elle met en scène tout un monde, une galerie de personnages pittoresques, et l'ensemble est à sa place en perpétuel mouvement, chaque digression apparente servant un but précis. Elle va du général au particulier, de son histoire à l'Histoire, du district à la ville, de l'individu à la société, puis elle nous recentre sur le roman présent par une anecdote, un lieu, une rencontre, avant de recommencer plus loin, plus tard, son assaut d'un horizon plus vaste. L'ensemble est passionnant, souvent implacable et glaçant, mais toujours l'auteure, en allant de plus en plus loin dans la réflexion, distille avec habilité humour, auto-dérision et pincées de légèreté, ce qui rend ce roman à l'équilibre impeccable purement addictif. La traduction admirable de Jakuta Alikavazovic est aussi à saluer.

« Attends un peu, j'ai fait. Tu veux dire que lui peut se balader avec du Semtex mais que moi je ne peux pas lire Jane Eyre en public ? »

A mesure que j'avançais dans ma lecture, j'ai également ressenti avec intensité la portée universelle de Milkman. La distanciation anonyme met en lumière les mécanismes à l'oeuvre dans la rumeur publique, la manipulation, les pressions sociales, et permet de percevoir avec une grande acuité comment une situation politique donnée peut déboucher très vite sur un système totalitaire verrouillé à tous les niveaux de la société. Comme Orwell racontait Winston Smith en 1984, la novlangue et le double-penser, Anna Burns nous laisse ici entendre la voix de Soeur du milieu, « de ce côté-ci de la route ». Une voix unique, splendide d'intelligence et d'émotion, de profondeur et d'humour. Et nous ? Où en sommes-nous ?

Milkman est un roman singulier, un pur chef d'oeuvre à la portée universelle. Ne passez pas à côté, il est à découvrir absolument !

« C'était, sous les traumatismes, sous l'obscurité, une normalité qui essayait d'advenir. »
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
Commenter  J’apprécie          2021
MILKMAN d'ANNA BURNS
Dans un pays jamais mentionné mais dont l'identité fait peu de doute( Irlande du nord), dans les années 70, la narratrice, « soeur du milieu »,marche en lisant des romans du 19 ème siècle et fait son possible pour cacher à sa mère l'existence de « peut-être-petit-ami « ainsi que sa rencontre avec le Laitier, qui bien sûr, n'en est pas un( de laitier).
Elle court souvent avec » troisième beau frère » passionné de course à pied et qui réalise rapidement que le Laitier a fait des avances à » soeur du milieu ». Dans cette ville microcosme où tout, déformé et faux dans le cas présent, se sait et se colporte,« soeur du milieu » est déjà la maîtresse de Laitier, quand elle n'est pas enceinte de lui. Sa mère la harcèle, lui dit qu'elle est »dépassant-les bornes »et ferait mieux de se marier avec « un du même bord » qui pratique la »bonne religion »et habite « le bon côté de la ville ».
« Soeur du milieu »se trouve piégée au milieu d'un faisceau de ragots et racontars, elle est prise au piège par tous les protagonistes, police, militants des deux bords, religieux, famille jusqu'à une série de meurtres dont celui d'un laitier, le vrai cette fois ci!
Un passionnant roman, auréolé de prix, qui dans un style très spécial met en scène cette femme qui, tout en menant une vie »normale « se retrouve au centre d'une attention qu'elle ne souhaite en aucun cas et pour cause, les cadavres jonchent régulièrement les rues, alors un profil bas est indispensable. La pression journalière, sourde, non formulée est magnifiquement rendue. Il faut simplement dépasser le fait qu'aucun personnage n'est nommé, ce qui rend la lecture étrange et, demande( pour moi en tout cas) un temps d'adaptation. A lire vraiment.
Anna Burns est irlandaise, née en 1962 et c'est son troisième roman.
Commenter  J’apprécie          180
Des prix prestigieux, des louanges de babelionautes, l'enthousiasme de Yakuta...il a fallu tout cela pour que je n'abandonne pas...je suis passée à côté de ce livre sur lequel j'ai traîné.
Tout est anonymé: l'époque, le lieu, les personnages et cela m'a agacée (me rappelant Désorientale et les oncles).
Tout m'a paru long, redondant.
Rumeurs et harcèlement dans un contexte politique explosif. C'est ce que j'ai retenu!
Mais les termes revenant sans arrêt de "presque petit ami", renonçants paramilitaires, fille aux cachetons, premier beau-frère (et les autres) les chtites soeurs, soeur du milieu etc. ont eu raison de ma patience.
Intéressant cependant de décortiquer une rumeur: elle lit en marchant et cela suffit à la rendre suspecte et la rumeur lancée par premier beau-frère enfle faisant entrer Laitier, renonçant important dans l'affaire.
Elle (la narratrice anonyme) est tantôt naïve, tantôt roublarde. J'ai souvent oublié qu'elle n'avait que dix-huit ans et peu au courant des événements; elle va découvrir que tout est politique...
Rumeurs et harcèlement demeurent indépendamment de la situation et du lieu jamais nommés.
Commenter  J’apprécie          120
Un roman qui me laisse très partagée. La longue logorrhée de la narratrice m'a très souvent agacée, voire fatiguée, de même que l'absence de caractérisation des personnages. Pourtant, comment ne pas voir en ce monologue lancinant et torturé l'âme de l'Ulster et de ses habitants déchirés par un conflit larvé et fratricide.
Si je ne peux pas affirmer avoir apprécié ce roman, en revanche, je sais qu'il le restera longtemps en tête.
Commenter  J’apprécie          60
Bienvenue en Irlande du Nord à l'époque des Troubles, bienvenue dans ce pays secoué par les violences et l'agitation politiques, bienvenue dans cet endroit fermé où morale et commérages dictent les rapports sociaux et où aller voir un coucher de soleil a quelque chose de subversif. Bien que cela ne soit jamais explicitement indiqué, l'histoire de "Milkman" se déroule probablement à Belfast, dans les années 70, pendant la période dite des Troubles, période de violences en réponse à l'occupation britannique. Bien que depuis, les différents belligérants aient déposé les armes, le conflit n'a jamais totalement cessé et semble même vivre un regain de violence en raison du Brexit. le récit est construit en paragraphes copieux et denses et en chapitres très longs, ce qui exige une bonne concentration de lecture. Il raconte les expériences d'une jeune fille considérée comme non-conformiste parce qu'elle aime « lire-en-marchant », ses tentatives pour se frayer un chemin à travers le champ de mines des ragots et des intrigues politiques de la Belfast catholique. Elle parle, raconte, rumine et réfléchit sur un rythme répétitif, frénétique, insistant, parfois même obsessionnel, mais sans jamais oublier d'y mettre une petite dose d'ironie qui illumine et réchauffe le tout. Comme de nombreux catholiques, elle est issue d'une famille nombreuse, de sorte que ses frères, ses soeurs et les beaux-frères se voient attribuer des ordinaux. Parmi les autres personnages figurent le « peut-être-petit-ami », le vrai laitier (alias l'homme qui n'aime personne), le faux laitier (un militant républicain qui semble harceler la narratrice), la fille aux cachetons et sa soeur, Machin McMachin et son frère, le garçon nucléaire. La mère de la narratrice occupe une place importante et puissante, elle croit plus aux rumeurs de sa communauté qu'aux dires de sa propre fille, tout en ressassant les mauvais choix de sa vie, comme celui de son mariage. Anna Burns décrit brillamment cette période des Troubles et le courant de violences sous-jacent, les suspicions entre groupes, les conventions étouffantes, les haines intercommunautaires et la morosité pesante. Elle rend à merveille la claustrophobie qui étouffe la ville, ses habitants et le peuple tout entier. La narratrice est à la fois un produit de son environnement avec des idées plutôt conformistes, mais elle manifeste également le désir de découvrir le monde hors des limites étroites ou des restrictions dans lequel elle est censée évoluer. Dans sa prise de conscience de l'existence d'une réalité plus vaste, elle est aidée par son « peut-être-petit-ami » et par une enseignante de français qui lui offrent par exemple de regarder différemment les couleurs du ciel. Mais elle se sent tirée vers le bas par les agissements du faux laitier, par les menaces et les violences du quotidien, par les ragots, les insinuations et les commérages du voisinage et par sa relation de plus en plus tendue avec son « peut-être-petit-ami ». Reste l'écriture d'Anna Burns qui, bien qu'originale et novatrice, ne plaira pas à tout le monde. Il y a tout d'abord le choix de ne pas nommer les personnages, choix déroutant au début de la lecture. Il y a ensuite la transcription des pensées de la narratrice, mélange de divagations intenses et d'états d'âme frénétiques, la narratrice cherchant de façon obsessionnelle à tout comprendre ou tout expliquer. Il y a enfin le style varié avec, par moment, une écriture viscérale (le massacre des chiens du quartier), une écriture sombre (la violence et la mort font partie du quotidien), une écriture tendre (les relations entre des personnages proches) ou une écriture absurde (les pointes d'ironie de la narratrice), mais toujours une écriture imaginative et inventive dans son utilisation de la langue. Bref un livre audacieux et novateur que j'ai aimé, un livre également prémonitoire en raison du choix de l'écrivain de parler de la période des Troubles à l'heure où la stabilité irlandaise est menacée par le Brexit.
Commenter  J’apprécie          60



Autres livres de Anna Burns (1) Voir plus

Lecteurs (282) Voir plus



Quiz Voir plus

Quiz de la Saint-Patrick

Qui est Saint-Patrick?

Le saint patron de l’Irlande
Le saint-patron des brasseurs

8 questions
252 lecteurs ont répondu
Thèmes : fêtes , irlandais , irlande , bière , barCréer un quiz sur ce livre

{* *}