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Jakuta Alikavazovic (Traducteur)
EAN : 9782072853500
352 pages
Joëlle Losfeld (04/02/2021)
3.43/5   78 notes
Résumé :
Bien que se déroulant dans une ville anonyme, Milkman s'inspire de la période des Troubles dans les années soixante-dix, qui ensanglanta la province britannique durant trente années. Dans ce roman écrit à la première personne, une jeune fille, non nommée excepté par le qualificatif de « sœur du milieu » - grande lectrice qui lit en marchant, ce qui attise la méfiance -, fait tout ce qu'elle peut pour empêcher sa mère de découvrir celui qui est son « peut-être-petit... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,43

sur 78 notes
L'auteure conte l'Irlande du Nord , elle s'inspire de la période des Troubles dans les années soixante - dix qui ensanglanta la province britannique durant trente années .
Dans ce roman à la première personne , la jeune fille en question n'est jamais nommée excepté par le qualificatif de «  soeur du milieu » .

Grande lectrice , elle lit en marchant , ce qui attire méfiance et quolibets .
Elle agit par réflexe , pense et pense sans cesse , nous emporte dans le flot rigide et agité , très agité de son esprit .
Elle ne désire pas que sa mère découvre celui qui est «  peut - être son petit ami » , ainsi que pour cacher à tous qu'elle a croisé le chemin de ce milkman qui la poursuit de ses assiduités .
Les lieux ne sont jamais nommés , les hommes et les femmes non plus , l'auteure situe son histoire dans un village «  de ce côté de l'eau » , loin de l'Angleterre et des loyalistes , proche mais quand même loin, résolument fermé à leur influence.
«  Soeur du milieu » la narratrice habite dans un district de «  renonçants » nationalistes déterminés , vit dans une famille endeuillée comme beaucoup. …
Bientôt «  un laitier » qui ressemble plutôt à un paramilitaire jette son dévolu sur elle , vingt - sept sans les séparent .
Bien sûr cancans , commérages , indiscrétions , rumeurs enflent ….
Silence et refus d'entendre , harcèlement ne cessent …

J'ai été engloutie , alourdie , engluée capturée par cette langue , une logorrhée hallucinée autant que l'héroïne piégée dans ce milieu orthodoxe catholique , orthodoxe et rebelle ….
Cette logorrhée hallucinée plonge le lecteur dans une ambiance sombre , déprimante , sinistre , lointaine .
Les répétitions , les longues , très longues phrases ayant pour toile de fond les troubles de ces années - là en Irlande signent une écriture imaginative , inventive , tout à fait singulière , étrange audacieuse , un livre très exigeant , doté d'un style où le lecteur doit prendre le temps de s'habituer .
Un ouvrage sous tension , original, immersif, à l'action très lente , au coeur du conflit nord- irlandais .
Une adolescente raconte avec ses mots à elle la violence et les rumeurs multiples d'une société entière déchirée par la guerre civile ….
Un livre troublant qui fait réfléchir .
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Bon allez, j'annonce directement la couleur : ce roman m'a éblouie. L'évidence du coup de coeur m'a frappée dès le début de lecture. L'impression que des vannes venaient brusquement de s'ouvrir, un fourmillement, une jubilation. Élan, enthousiasme, admiration. le besoin constant d'y revenir, l'envie de noter des pages entières, de relire certains passages pour comprendre saperlipopette mais comment réussit-elle à en dire autant ?! L'impression sidérante d'avoir été téléportée, à une autre époque, dans une autre vie. Un récit passionnant qui offre autant de contenu que d'émotion. Et quel humour !

Milkman était sur mes étagères depuis quelques semaines et j'attendais le bon moment pour m'y plonger, pensant que la prose serait ardue et l'histoire pas forcément très attachante. En fait, Milkman, c'est tout le contraire. J'ai eu envie de le commencer en lisant la chronique de Sonia (à découvrir sur son blog Books, moods and more, ici – un grand merci à elle). Bien sûr, en bonne brestoise habituée à un océan à seize degrés au mois d'août, avant de plonger j'y ai trempé un orteil et demi – histoire d'être sûre de ne pas y laisser des plumes… Verdict : au bout de même pas deux pages, je faisais le sous-marin en éclaboussant partout, transformée d'allégresse en chien fou.

Certes, Milkman est un roman singulier, et le flux de conscience de la narratrice impose des pauses régulières pour reprendre son souffle. L'action est lente, mais l'ivresse – et souvent les émotions –, intense(s). Pendant cette lecture, j'ai vécu une immersion comme jamais auparavant dans l'époque des Troubles en Irlande du Nord.

Dans ce roman, personne n'est nommé, aucun lieu, aucun pays. C'est « peut-être-petit-ami », « troisième beau-frère », « première soeur »… Il y a les gens « de l'autre côté de la route », ceux « de l'autre côté de l'eau » et « de l'autre côté de la frontière ». Honnêtement, je pensais ne pas accrocher à cette absence de noms, ou qu'au mieux cela alourdirait considérablement ma lecture ; et bien pas du tout. On se fait très bien à ces noms génériques pour la famille, les amis, les voisins, les Protestants, les Britanniques, ceux de la République d'Irlande, et au contraire, tout prend beaucoup plus de corps – et de vision –, dans cette distanciation anonyme.

« Tous les jours de la semaine, qu'il pleuve ou qu'il vente, sous les balles ou sous les bombes, en période d'accalmie ou en pleines émeutes, je préférais rentrer à pied en lisant mon tout dernier bouquin. Un livre du dix-neuvième siècle, à tous les coups, car je n'aimais pas ceux du vingtième, comme je n'aimais pas ce siècle. »

Milkman, c'est le monologue intérieur d'une jeune femme pendant une guerre civile qui ne dit pas son nom. Soeur du milieu d'une fratrie (très) nombreuse, elle aime lire en marchant et ne pas se faire remarquer, mais devient brusquement la cible des commérages de toute une communauté, lorsqu'un laitier qui n'en est pas un s'intéresse à elle – plus âgé, marié, haut placé chez les paramilitaires renonçants-à-l'État : la rumeur publique leur prête derechef une liaison. Elle nous emporte dans sa vie, au fil de l'eau, de fil en aiguille, la vie de ceux qui « tentent de vivre en civils des vies aussi ordinaires que les problèmes politiques, ici, le permettaient ». Elle raconte et explique, s'interroge et digresse, essaye de comprendre mais voudrait aussi ne rien savoir sur cette réalité de la vie de tous les jours, dans laquelle tout devient politique, même gagner à une loterie le carburateur d'une voiture dont on est raide dingue, avoir un chien ou regarder un coucher de soleil. La rumeur et les commérages s'emparent de tout et le plus souvent, de rien, pour en faire une montagne, voire un piège. Elle raconte comment les vies sont broyées par l'époque et ses continuelles et aliénantes violences militaires et sociales – et on plonge avec elle.

« C'est que je ne parlais de rien à personne – en partie parce que je n'avais pas l'habitude de confier quoi que ce soit à qui que ce soit, en partie parce que je n'aurais pas su comment ni quoi dire, et en partie aussi parce que je n'étais pas encore sûre qu'il y ait quoi que ce soit de précis à raconter. »

Il y a du génie dans la plume d'Anna Burns, fluide, rythmée et parfaitement maîtrisée. Elle met en scène tout un monde, une galerie de personnages pittoresques, et l'ensemble est à sa place en perpétuel mouvement, chaque digression apparente servant un but précis. Elle va du général au particulier, de son histoire à l'Histoire, du district à la ville, de l'individu à la société, puis elle nous recentre sur le roman présent par une anecdote, un lieu, une rencontre, avant de recommencer plus loin, plus tard, son assaut d'un horizon plus vaste. L'ensemble est passionnant, souvent implacable et glaçant, mais toujours l'auteure, en allant de plus en plus loin dans la réflexion, distille avec habilité humour, auto-dérision et pincées de légèreté, ce qui rend ce roman à l'équilibre impeccable purement addictif. La traduction admirable de Jakuta Alikavazovic est aussi à saluer.

« Attends un peu, j'ai fait. Tu veux dire que lui peut se balader avec du Semtex mais que moi je ne peux pas lire Jane Eyre en public ? »

A mesure que j'avançais dans ma lecture, j'ai également ressenti avec intensité la portée universelle de Milkman. La distanciation anonyme met en lumière les mécanismes à l'oeuvre dans la rumeur publique, la manipulation, les pressions sociales, et permet de percevoir avec une grande acuité comment une situation politique donnée peut déboucher très vite sur un système totalitaire verrouillé à tous les niveaux de la société. Comme Orwell racontait Winston Smith en 1984, la novlangue et le double-penser, Anna Burns nous laisse ici entendre la voix de Soeur du milieu, « de ce côté-ci de la route ». Une voix unique, splendide d'intelligence et d'émotion, de profondeur et d'humour. Et nous ? Où en sommes-nous ?

Milkman est un roman singulier, un pur chef d'oeuvre à la portée universelle. Ne passez pas à côté, il est à découvrir absolument !

« C'était, sous les traumatismes, sous l'obscurité, une normalité qui essayait d'advenir. »
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
Commenter  J’apprécie          2021
Mon coup de coeur de l'année.
Anna Burns nous invite à une plongée en apnée dans le conflit nord-irlandais à travers les yeux d'une jeune narratrice de 18 ans. Il faut retenir son souffle et se laisser porter par le flot, les vagues de souvenirs, réminiscences, divagations qui déferlent en longues phrases et paragraphes couvrant toute la page sans alinéa et ne donnant pas de répit.
Elle a tant à dire et à raconter cette "Soeur du milieu", confrontée, après ses années de lycée, à une entreprise de harcèlement sexuel de la part d'une figure du mouvement paramilitaire de lutte contre le gouvernement, dans un contexte que l'on pourrait qualifier de guerre civile. le coup de génie de l'autrice est d'avoir croisé la dimension sociale et politique du conflit et le vécu d'une adolescente qui fait l'expérience des relations avec les hommes dans une société patriarcale marquée par la violence et les crimes quotidiens. La petite histoire individuelle d'une prédation sexuelle rencontre et percute la grande Histoire de l'Irlande du Nord et les deux histoires se potentialisent.
Bien que les fratries soient décimées, que les règlements de compte soient fréquents, les mouchards exécutés, que la paranoïa entre les quartiers, les familles ou les membres d'une même famille règne, le ton du récit, dense, profond, intelligent, n'est ni larmoyant, ni pathétique et c'est la deuxième réussite du livre.
Milkman est une sorte de conte, grotesque, où les personnages qui n'ont pas de nom sont un peu caricaturaux. Les neuf frères et soeurs de la narratrice sont désignés en fonction de leur rang, son petit ami est "peut-être-petit-ami", le persécuteur le "laitier"... Il y a le pays "de l'autre côté de la route" et celui "de l'autre côté de l'eau". Les "défenseurs de l'Etat" combattent les "renonçants à l'Etat". Cette mise à distance donne une portée universelle au propos de l'autrice.
Et puis, il y a les "dépasseurs-de-bornes" dont fait partie Soeur du milieu car elle refuse de se conformer aux règles de cette société sclérosée, corsetée, rongée par les ragots et les préjugés, meurtrie par les tensions sociales, ethniques et religieuses.
Certaines scènes du livre sont marquantes, celle de la professeur de français qui fait découvrir à ses élèves un peu bornés que le ciel n'est pas toujours bleu, et surtout celle de la tête de chat, que la narratrice découvre dans un endroit qui échappe à la réalité et qu'elle veut absolument enterrer. C'est un concentré de poésie et d'ésotérisme.
Milkman est un magnifique livre sur une jeune fille à qui on prête une liaison avec un terroriste, et qui, prise dans un faisceau de tensions et de contradictions, essaie désespérément de se protéger et de trouver son chemin et son autonomie dans un pays en guerre.



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C'est le troisième roman d'Anna Burns qui lui a permis de remporter en 2018 le Booker Prize, et une reconnaissance internationale, avec la traduction en français parue dès 2021.

Nous sommes dans une ville qui n'est jamais nommée, mais dans laquelle tout le monde reconnaît Belfast des années 70. Une jeune femme de 18 ans, jamais nommée, essaie tant bien que mal à vivoter dans un pays en proie à la guerre civile. Elle essaie de passer inaperçue, tout en tentant de sauvegarder son espace de liberté personnelle. Car le monde dans lequel elle vit, en plus d'être dangereux, est un monde dans lequel tout le monde observe tout le monde, juge tout le monde, et souvent condamne ceux qui sortent d'une norme non écrite, mais impossible à contourner. Mais elle a attirée l'intérêt d'un paramilitaire influent, qui dresse autour d'elle un entrelacs pour se l'approprier. Il connaît ses moindres habitudes, se place sur son chemin, laisse planer des menaces, fait ce qu'il faut pour que toute la communauté la pense à lui. Elle ne paraît pas avoir d'échappatoire.

C'est sans doute une description fidèle du ressenti d'un certain nombre d'habitants de Belfast pendant cette période difficile, ce sentiment d'impuissance, d'instrumentalisation, d'impossibilité de pouvoir être soi-même et de mener une vie à sa convenance. Et tout cela encore bien plus difficile pour une femme, soumise au pouvoir de ceux qui ont la violence pour eux, légitimée par leur communauté. Mais j'ai trouvé aussi quelques évidences, et surtout je n'ai pas adhéré au style, à l'écriture. Personne n'est appelé par son nom, tout et tous son nommés par des sortes de paraphrases, qui répétées deviennent un peu lourdes. le moindre mini événement est décrit avec un luxe de détails, dans lequel il se dilue. L'action du livre s'étire aussi un peu à mon sens, il y a des histoires parallèles, un peu longues à mon goût.

Une rencontre qui ne s'est pas vraiment faite pour moi.
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MILKMAN d'ANNA BURNS
Dans un pays jamais mentionné mais dont l'identité fait peu de doute( Irlande du nord), dans les années 70, la narratrice, « soeur du milieu »,marche en lisant des romans du 19 ème siècle et fait son possible pour cacher à sa mère l'existence de « peut-être-petit-ami « ainsi que sa rencontre avec le Laitier, qui bien sûr, n'en est pas un( de laitier).
Elle court souvent avec » troisième beau frère » passionné de course à pied et qui réalise rapidement que le Laitier a fait des avances à » soeur du milieu ». Dans cette ville microcosme où tout, déformé et faux dans le cas présent, se sait et se colporte,« soeur du milieu » est déjà la maîtresse de Laitier, quand elle n'est pas enceinte de lui. Sa mère la harcèle, lui dit qu'elle est »dépassant-les bornes »et ferait mieux de se marier avec « un du même bord » qui pratique la »bonne religion »et habite « le bon côté de la ville ».
« Soeur du milieu »se trouve piégée au milieu d'un faisceau de ragots et racontars, elle est prise au piège par tous les protagonistes, police, militants des deux bords, religieux, famille jusqu'à une série de meurtres dont celui d'un laitier, le vrai cette fois ci!
Un passionnant roman, auréolé de prix, qui dans un style très spécial met en scène cette femme qui, tout en menant une vie »normale « se retrouve au centre d'une attention qu'elle ne souhaite en aucun cas et pour cause, les cadavres jonchent régulièrement les rues, alors un profil bas est indispensable. La pression journalière, sourde, non formulée est magnifiquement rendue. Il faut simplement dépasser le fait qu'aucun personnage n'est nommé, ce qui rend la lecture étrange et, demande( pour moi en tout cas) un temps d'adaptation. A lire vraiment.
Anna Burns est irlandaise, née en 1962 et c'est son troisième roman.
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critiques presse (7)
Elle
19 juillet 2021
Ce roman extraordinaire est aussi un brillant hommage à la langue, à la littérature et à la poésie, armes subversives par excellence, à la fois refuges de l'héroïne et moyens de sa libération.
Lire la critique sur le site : Elle
LeMonde
14 mai 2021
Pendant les « Troubles », en Irlande du Nord, une jeune femme est la proie d’un manipulateur. Que peut-elle contre lui ? Un roman audacieux, couronné du Man Booker Prize en 2018.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
14 avril 2021
Avec « Milkman », l’écrivaine restitue le climat paranoïaque de l’Irlande du Nord dans les années 1970. Une roman sous tension, d’une originalité époustouflante.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
FocusLeVif
12 mars 2021
Anna Burns encercle une adolescente au coeur de la rumeur, dans un environnement oppressant inspiré de l'Irlande du Nord durant les troubles.
Lire la critique sur le site : FocusLeVif
LeSoir
22 février 2021
La voix singulière d’Anna Burns s’élève, dans « Milkman », au cœur du conflit nord-irlandais.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LaLibreBelgique
17 février 2021
On imagine que le consensus autour de Milkman fut évident puisque lors de la remise du prix, Kwame Anthony Appiah, le président du jury, a assuré qu’"aucun d’entre nous n’a lu rien de semblable auparavant". On ne saurait mieux dire.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LesInrocks
09 février 2021
Première Nord-Irlandaise à remporter le Man Booker Prize, Anna Burns compose un roman dans lequel une ado raconte avec ses mots la violence d’une société déchirée par une guerre civile.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Mais même moi je savais que ceux qui défendaient une cause idéologique n'agissaient pas toujours au nom de celle-ci. Les partis pris personnels existaient, les irrégularités singulières, les interprétations subjectives. Les fous. Ce n'est pas non plus que je pensais le laitier incapable de piéger une voiture, j'étais à peu près certaine du contraire. C'est qu'il était toujours dur de croire qu'un homme comme lui pouvait pousser à ce point la convoitise à propos de ma personne. Depuis qu'il avait commencé, s'était donné pour rôle de me préparer à la suite, de me plonger dans la confusion, de m'acculer au bord où, défaite, je rendrais les armes et monterais volontairement, désormais sienne, dans ses véhicules, je n'étais plus sûre de ce qui était plausible, de ce qui était exagéré, de ce qui pouvait être la réalité, ou du délire, ou de la paranoïa. Il ne me serait pas non plus venu à l'idée que de cultiver mon impuissance et ma dépossession mentale grandissante puisse aussi faire partie de la sphère de stimulation de cet homme. Mais ça arrivait. Les voitures piégées.
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Quant aux meurtres, c’était la routine, à savoir qu’il n’y avait pas lieu de se répandre en invectives, non parce qu’ils étaient insignifiants mais bien parce qu’ils étaient si énormes et si nombreux que rapidement, on n’a plus eu le temps pour ça. Quoique de temps en temps, un événement outrepassait tant les bornes que tout le monde – « ce coté-ci de la route », « ce côté-là de la route », « par-delà l’eau », « par-delà la frontière » – était contraint de s’arrêter net. Une atrocité renonçante nous ébranlait, Dieu ô Dieu ô Dieu. Comment puis-je avoir une opinion qui a pu mener à ça ? , et vous vous y teniez, puis vous finissiez par oublier quand ceux de l’autre côté commettaient l’une de leurs horreurs. Ca aussi, ce n’était qu’ébranlement, chancellement. Vengeance, représailles. Ce n’était que ralliement aux mouvements pour la paix, adhésion au dialogue intercommunautaire, aux marches blanches qui incluaient tout le monde, à un vrai bon sens citoyen – jusqu’au moment où l’on soupçonnait ces mouvements pour la paix, cette bonne volonté, cette vraie et bonne citoyenneté d’être infiltrés par l’une ou l’autre faction. Alors on quittait les mouvements, on perdait espoir, on abandonnait les solutions potentielles pour retourner à cette opinion toujours familière, fiable, inévitable. A cette époque, donc, impossible, vraiment, de ne pas se refermer sur soi, car cette fermeture était partout : dans notre communauté et dans la leur, dans l’État ici, comme dans le gouvernement là-bas, dans les journaux, à la radio et à la télévision, car aucune information ne pouvait être avancée sans être soit perçue au moins par l’un des camps comme une distorsion de la vérité. Au bout du compte, même si les gens évoquaient l’ordinaire, l’ordinaire n’existait pas vraiment car la modération elle-même avait vrillé, était hors de contrôle. Aussi, peu importaient les réserves que l’on pouvait avoir – quant aux méthodes, à la morale, quant aux groupements variés qui entraient en action ou qui étaient en action depuis le début ; peu importait aussi le fait que pour nous, dans notre communauté, de « notre côté de la route », le gouvernement ici fût l’ennemi, que la police ici fût l’ennemie, et que le gouvernement « là-bas » fût l’ennemi, et les soldats de « là-bas » également, comme l’étaient aussi les paramilitaires-défenseurs de « l’autre côté de la route » et, par extension – en raison des soupçons, de tout le passif, de la paranoïa – l’hôpital, et le fournisseur d’électricité, et le fournisseur de gaz, et le fournisseur d’eau, et le conseil d’administration des établissements scolaires, et les gens du téléphone, et n’importe quel quidam en uniforme ou en tenue aisément confondue avec un uniforme aussi était l’ennemi, et nous, à notre tour, nous étions perçus par nos ennemis comme étant l’ennemi – en ces temps sombres, qui étaient des temps extrêmes, si l’on n’avait pas eu les renonçants pour faire tampon clandestinement entre nous et cet ennemi combiné, écrasant, qui d’autre, qui d’autre au monde aurions-nous eu ?
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A chaque fois qu’elle flairait la possibilité que je fréquente quelqu’un (jamais un indice ne venait de moi), je n’avais pas franchi le seuil qu’elle s’y mettait, « Il est de la bonne religion ? », suivi par « Il n’est pas déjà marié ? ». Il était vital, après la bonne religion, qu’il ne soit pas déjà marié. Et comme je m’obstinais à ne rien céder, elle y voyait la preuve qu’il n’était pas de la bonne religion, qu’il était marié, et que probablement il s’agissait non seulement d’un paramilitaire, mais d’un paramilitaire ennemi, de-ceux-qui-défendaient-l’État.
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Les chats ne manifestent pas la même adoration que les chiens. Peu leur chaut. On ne peut jamais compter sur eux pour étayer un ego humain. Ils tracent leur chemin, vivent leur vie, n’ont rien de servile et ne s’excusent jamais de rien. Personne n’a jamais vu un chat s’excuser et, si jamais ça arrivait, il serait évidemment manifeste qu’il est tout sauf sincère.
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Tous les jours de la semaine, qu'il pleuve ou qu'il vente, sous les balles ou sous les bombes, en période d'accalmie ou en pleines émeutes, je préférais rentrer à pied en lisant mon tout dernier bouquin. Un livre du dix-neuvième siècle, à tous les coups, car je n'aimais pas ceux du vingtième, comme je n'aimais pas ce siècle.
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