Pocket, p.49 :
"Terrible ironie, c'est l'holocauste des passagers, de ses parents, qui lui avait sauvé la vie. C'est ce que dirent les médecins pour expliquer le miracle.
Car c'était bien un miracle !"
Quelques dernières feuilles se tordaient sous la morsure des flammes dans la cheminée. Le regard du détective glissa vers le vivarium et le bourdonnement funèbre des libellules.
Marc sentit son malaise augmenter, si c'était encore possible. Il avait mis les pieds dans un mauvais conte de fées, il conversait avec la serial killeuse du rayon jouets d'une grande surface pour enfants.
- Monsieur Vitral, serai-t-il possible que je m'entretienne seul avec vous ?
Pierre Vitral hésita. Pas sa femme. La question, en fait, s'adressait à elle. Elle ne s'embrassa pas pour lui répondre :
- Non monsieur de Carville, cela ne va pas être possible.
Nicole Vitral tenait le jeune Marc dans ses bras. Elle ne le lâcha pas, le serrant plus fort encore. Elle continua :
- Même si je vais dans la cuisine, voyez-vous, monsieur de Carville, j'entendrai encore tout. C'est petit, chez nous. Même si je vais chez les voisins, j'entendrai encore tout. C'est comme ça. les murs ne sont pas épais. On ne peut pas avoir de secrets. C'est peut-être parce qu'on n'en veut pas, d'ailleurs, des secrets. Marc, dans ses bras, pleurnichait un peu. Elle s'installa sur une chaise pour l'asseoir sur ces genoux, pour signifier aussi qu'elle ne bougerait pas.
Léonce de Carville ne parut pas plus impressionné que cela par la tirade.
- Comme vous voulez, continua-t-il avec son sourire de tombola, je ne serai pas long. Ce que j'ai à vous proposer tient en quelques mots.
L'avenue Reille et ses immeubles gris de toutes les hauteurs, comme une haie de béton mal taillée.
La tour Eiffel grelottait dans le brouillard, on distinguait à peine ses pieds humides dans les flaques qu'un fin crachin agrandissait lentement.
Longtemps, les deux bols restèrent là, glacés, à peine entamés, sans une ride, stupides, figés par cette seconde qui empailla la vie dans cette petite maison de pêcheurs de la rue Pocholle.