Citations sur Un avion sans elle (251)
Toute sa vie se résumait dans cet autodafé dont il était le seul témoin.
Il se retourna, s’avança vers la cheminée jusqu’à ce qu’il sente presque la chaleur lécher ses mains. Il se pencha et jeta deux boîtes archives dans l’âtre. Il se recula pour éviter la gerbe d’étincelles.
L’impasse…
Il avait consacré des milliers d’heures à aller jusqu’au bout du moindre détail de cette affaire… Tous ces indices, ces notes, ces recherches, s’envolaient maintenant en fumée. Les traces de cette enquête disparaissaient en à peine quelques heures.
Dix-huit ans d’enquête pour rien.
Quelle ironie…
Dire que je n’ai ni regrets ni remords serait exagéré, mais j’ai fait du mieux que je pouvais.
Crédule Grand-Duc fixa de longues secondes cette ultime ligne, puis referma lentement le cahier vert pâle.
J’ai fait du mieux que je pouvais, se répéta-t-il, finalement satisfait de sa conclusion.
Le stylo se leva, trembla quelques millimètres au-dessus du papier. Les yeux bleus de Crédule Grand-Duc se perdirent une nouvelle fois dans le verre lisse du vivarium, puis glissèrent vers la cheminée, où de longues flammes dévoraient un enchevêtrement de journaux, de papiers et de boîtes archives cartonnées, avant de se poser une dernière fois sur le cahier. Le stylo glissa.
J’ai recensé dans ce cahier tous les indices, toutes les pistes, toutes les hypothèses. Dix-huit ans d’enquête. Tout est consigné dans cette centaine de pages. Si vous les avez lues avec attention, vous en savez maintenant autant que moi. Peut-être serez-vous plus perspicaces ? Peut-être suivrez-vous une direction que j’ai négligée ? Peut-être trouverez-vous la clé, s’il en existe une ? Peut-être…
Pourquoi pas ?
Pour moi c’est terminé.
Une espèce rare, l’une des plus grandes au monde par la taille, réplique exacte de son ancêtre préhistorique. La longue libellule s’agitait d’une vitre à l’autre, au milieu d’un essaim frénétique de plusieurs dizaines d’autres libellules. Prisonnières. Piégées.
Toutes sentaient qu’elles étaient en train de mourir.
Vous savez tout, désormais.
Crédule Grand-Duc leva son stylo et son regard se perdit juste en face, dans l’eau claire de l’immense vivarium. Ses yeux suivirent quelques instants le vol désespéré de la libellule arlequin qui lui avait coûté près de deux mille cinq cents francs moins de trois semaines auparavant.
Quand tout s’arrêta, enfin, elle ne sentit pas l’odeur de kérosène se répandre. Elle ne ressentit aucune douleur lorsque l’explosion déchiqueta son corps, ainsi que ceux des vingt-trois passagers les plus proches.
Elle ne hurla pas lorsque les flammes envahirent l’habitacle, piégeant les cent quarante-cinq survivants.
Elle ne vit pas les lumières s’éteindre. Elle ne vit pas l’avion se tordre comme une vulgaire canette de soda au contact d’une forêt d’arbres qui semblaient un à un se sacrifier pour ralentir la course folle de l’Airbus.
Le choc propulsa Izel dix mètres plus loin, contre l’issue de secours. Ses deux adorables petites jambes gainées de noir se tordirent comme les membres d’une poupée de plastique entre les mains d’une fillette sadique ; sa mince poitrine s’écrasa contre le fer-blanc ; sa tempe gauche explosa contre l’angle de la portière.
Izel fut tuée sur le coup. En cela, elle fut la plus chanceuse.