Nickolas Butler, avec ses personnages emphatiques, son regard sur l'Amérique et son talent narratif nous interroge sur la meilleure façon de préparer les jeunes à la virulence du monde.
Dans les années 60, pour les parents de Nelson, le scoutisme paraissait une bonne école. Nelson, treize ans, gamin très doué mais sans amis, part avec son père au camp de Chippewa. Un père qui lui parle peu et n'hésite pas à taper des coups de ceinture quand il a trop bu. Au camp comme ailleurs, Nelson est seul et devient la bête noire des autres gamins et des moniteurs. Peu importe, Nelson joue du clairon et fait tout pour gagner le titre de Eagle scout, grade le plus élevé dans l'organisation des Boys Scouts of America. Il est ami avec le vieux Wilbur, chef de camp, un homme de valeur aux principes stricts mais nécessaires pour faire de ces gamins des hommes droits et honnêtes. Mais ressasser des principes ne suffit pas à contraindre les hommes à la pureté. Et la plupart des hommes de ce roman se laissent souvent guider par leurs instincts naturels.
Trente ans plus tard, le camp de scout est aussi la solution pour Trevor, le fils très sérieux de Jonathan Quick, qui fut peut-être un des rares amis de Nelson. Jonathan a maintenant la cinquantaine, il a réussi sa carrière mais n'est plus heureux avec Sarah. Il emmène son fils, « l'ado le plus coincé du monde » selon lui au camp de Chippewa en passant par un motel où il doit retrouver sa maîtresse et Nelson, devenu chef du camp scout. Trevor est un adolescent pur et rêveur. A seize ans, il est amoureux de Rachel. Jonathan, expérimenté et cynique veut briser son innocence.
» On est tous des salauds. On baise tous la femme des autres, on vole au boulot, on triche sur notre déclaration d'impôt. Et si jamais tu refuses de tricher, t'es le dindon de la farce, le gros crétin. Alors qu'est-ce que je suis censé faire, t'envoyer démuni dans ce monde? »
Mais Trevor veut croire à autre chose, il vénère Nelson qui est revenu du Vietnam, la colonne farcie de shrapnel. » Les héros sont toujours gouvernés par le coeur ». Plus tard, suite au 11 septembre et au départ de Rachel, Trevor s'engage dans le commando d'élite des Marines
Qu'en est-il en 2019, époque où les jeunes sont en permanence branchés sur les réseaux sociaux, bien éloignés de l'observation de la nature, de la topographie ou des collections de timbres?
» C'est juste une espèce de fraternité chrétienne débile. Une bande de républicains paranos armés jusqu'aux dents en attendant l'apocalypse. »
Même si le camp de Chippewa existe encore, dirigé par Nelson, qui a plus de soixante dix ans, et si il accepte désormais les femmes, il attire toujours des pères machistes et homophobes qui souhaitent une éducation virile pour leurs enfants. Ce n'est pas le cas de Rachel qui y amène son fils, Thomas, contre son gré. Peut-être en souvenir de Trevor, le seul homme vertueux qui « avait le sens du devoir, du bien et du mal dans ce monde. »
Mais que sont devenus ces enfants éduqués par le scoutisme ou par des pères sévères et des mères protectrices? Des hommes cyniques, des machistes homophobes, des militaires brisés par les horreurs des guerres incessantes, des hommes convaincus que seule une arme est indispensable quand on croise quelqu'un » qui a faim » ?
Trois générations, trois époques très différentes et pourtant une même humanité.
» Vingt ans, pense-t-elle, et nous combattons les mêmes personnes dans les mêmes pays. Vingt ans. »
L'auteur aime prendre son temps à poser ses personnages. Si j'ai trouve quelques longueurs dans la première partie, le rythme s'accélère avec une dernière partie qui harmonise davantage action et analyse.
Nickolas Butler, dans une succession de vies de famille, avec des idéaux d'enfance et des réalités d'adulte, sur trois époques dresse un portrait de l'Amérique. Une Amérique qui prône la force de caractère, la force physique, l'autodéfense. Mais » le monde est un train à grande vitesse », auquel il faut savoir s'adapter. Si les parents souhaitent élever leurs enfants pour qu'ils deviennent meilleurs qu'eux, la rigueur militaire et les carcans éducatifs sont-ils encore les meilleurs principes?
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