En cet été 1962, le petit Nelson a 13 ans. Encore un peu tôt 13 ans pour savoir ce que l'avenir peut réserver, et puis le prénom n'aide pas à se faire une idée, entre le grand Madiba et le petit journaliste pseudo-sportif arborant avec une élégance rare un caniche mort sur la tête depuis... pfiou au moins la troisième guerre punique, le gouffre est large. Bon donc que va donner le petit Nelson plus tard, on sait pas, mais pour l'instant dans le camp scout qu'il fréquente en tant que clairon, Nelson n'a aucun ami (à part peut-être un certain Jonathan qui de temps à autre lui adresse miséricordieusement la parole), pour le reste, typique du gamin rejeté par ses pairs : l'aime pas le sport, l'aime pas jouer à la guerre et l'est jamais apte à enfreindre l'un des nombreux règlements du scoutisme, alors forcément il cherche un peu aussi. Malgré tout, s'il y a un truc qu'on partage avec ses tourmenteurs, c'est qu'il faut bien reconnaître que le petit Nelson, il nous est tout sauf sympathique et le tournant que prend sa vie en réponse à un événement de la fin de cet été 62 n'arrange pas le rejet qu'il nous inspire. En tout cas, avec cette fin d'été vient la fin du camp, le petit avorton rentre chez lui, prêt à reprendre ses études...
Rideau ?
Pas vraiment non, on va le revoir Nelson, mais plus âgé, été 96, même camp de scouts, seulement bien sûr il a pris du galon et le voilà responsable. Entre temps la guerre du Vietnam est passée par là et lui a laissé les traumatismes qu'on imagine. C'est triste à dire mais ces épreuves nous l'ont rendu bien plus attachant.
Et enfin hop, encore un petit saut dans le temps et voilà un Nelson plus tout jeune qui, en cet été 2019 revient une dernière fois au camp où le petit fils de son ami Jonathan y passe un séjour avec sa mère. Et là, oublié le petit fayot geignard et tête à claques. Papy Nelson, on l'aime putain !
Qu'importe qu'on ne les ait pas vécues,
Nickolas Butler avec un style flamboyant (rien de moins) n'a aucune difficulté à nous rendre vivantes ces légendaires années 60 en nous brossant le portrait nostalgique d'une jeunesse insouciante qui ne sait pas encore que s'il est amusant de jouer à la guerre entre copains le temps d'un été, elle se réveillera bientôt dans une jungle humide où quand on meurt, on ne se relève pas. Mais pour l'instant, les valeurs de l'époque sont préservées : patriotisme exacerbé, amitiés viriles, tendresse et amour des mères, mercuriale et amour des pères... Bref, une Amérique idéalisée, du moins Butler nous le laisse-t-il croire avant de nous indiquer la faille, si petite qu'au début on ne la voit presque pas mais qui va s'étendre et finir par tout avaler. Alors cette Amérique fantasmée a dû exister, oui sûrement, mais l'image d'Épinal a vite été rattrapée par la réalité faite de guerre, de trahisons et de déchirements.
Un livre que j'ai eu du mal à lâcher avant la fin et même si la première partie m'a semblé la plus réussie, la suite n'est pas en reste. Tout à fait le genre de bouquin qu'on espère toujours trouver sur sa route littéraire même si on sait bien que ça n'arrive pas souvent, et finalement c'est tant mieux, on s'y habituerait et le charme serait rompu.