Les yeux, dit-on, sont les miroirs de l'âme
Si un regard pouvait tuer, elle aurait été à cet instant raide morte, enfoncée dans vingt centimètres de terre fendillée
Elle avait lu quelque part que les fauves s'isolaient pour soigner leurs blessures
C'était la première fois qu'elle avait absolument besoin de lui. Et, pour la première fois, c'était lui qui prenait la fuite.
Les gens qui se sentent près de mourir, dit-on, mettent tout en ordre avant le grand voyage
Mais moi, si je revenais à Siartt, je n'y trouverais plus ma place. Ce serait comme essayer de rentrer dans un moule qui n'est plus à ma taille.
Après s'être sentie humaine et insecte à la fois, la jeune fille avait l'impression d'abriter en elle-même deux My très distinctes. La première était Mydria Siartt, une demoiselle pour laquelle elle avait une immense estime. Svelte, gracieuse, ambitieuse -promise, elle n'en doutait pas, à un avenir de petite princesse accomplie. L'autre My était la vraie princesse. Elle n'en avait que le titre. Dans la foulée, elle avait perdu sa famille, sa superbe, son castel et le beau nom de Siartt. Belle altesse, en effet !
Crissement, éclat blanc, ténèbres et silence. L'éclat blanc, réduit à un fil, s'élargit. Le crissement reprit. Silence à nouveau.
Jouant avec les ombres et les lumières, une plume de cygne dansait sur la surface du parchemin. Une danse toute en virevoltes et en hésitations...
La lumière du couchant, saupoudrant l'obscurité, semblait recouvrir mine et vélin de légères paillettes d'or, qui scintillaient quand la plume s'élevait et s'abaissait, modifiant les reflets. Petit à petit, elles parurent fluctuer moins vite. Les mots, auparavant tracés avec rythme et élégance, s'étiraient maintenant au bout de la pointe, pâteux et indécis comme les premières lettres d'un apprenti. Madael s'arrêta.
Cette lettre était la plus importante qu'il ait jamais écrite. Pourquoi fallait-il que les mots lui manquent en cet instant précis ?
La plume tournicotait follement entre ses doigts, fidèle illustration de son état d'esprit. Aux rois comme aux simples mortels, il arrivait de perdre tout sang-froid devant un bout de papier. Était-ce cela, la peur du vide ?
Il en avait écrit, des lettres, par centaines. Mais alors, ses correspondants étaient en vie, il s'adressait à des êtres de chair et de sang. Dans le cas présent, ses destinataires n'existaient pas.
Le blanc aristocratique, le noir trouble du reste. Mais jamais ses parents, au cours des années qui l'avaient fait passer de l'enfance à l'état de jeune fille apprêtée, d'esprit vif et facile, si papillonnante déjà, ne lui avaient fait remarquer que le noir couleur trompeuse, pouvait accumuler une multitude de nuances et anéantir la vision du monde que son éducation, moitié persuasive, moitié contraignante, lui avait fait adopter.
Ses pieds volaient au secours de My de leur propre initiative. Lui-même, en son âme et conscience, ne savait plus bien où il était. Il avait simplement peur. Si My… si cette petite idiote était… A non ! Il l’avait traînée d’un bout à l‘autre d’Edrillon. Elle n’allait pas lui claquer dans les doigts maintenant !
- My ! beugla-t-il. Répondez, ventredieu !
Rien. Pour une fois, elle se taisait. C’était bien le moment…