Je suis très heureuse d'accepter de lire un recueil de poésie dans le cadre d'un service de presse, même si c'est un genre que je n'ai pas trop l'habitude de chroniquer. Merci à Anthony G.R. Caillet qui me confie ses Vagabondages poétiques…
La préface annonce une réflexion sur la poésie d'hier et d'aujourd'hui et de bonnes références de Shakespeare à Rimbaud dans une posture faite d'humilité et d'enthousiasme…
Ce recueil comprend 95 poèmes, écrits entre 2012 et 2017, quand ce jeune auteur avait donc entre 19 et 24 ans ; ils ne sont pas datés mais regroupés par thèmes : « Chants des écorchés » à tonalité d'ensemble plutôt sombre, « Fantaisies lyriques » pour faire rire et sourire et peut-être choquer un peu, « Symphonies sauvages » en lien avec la nature, « Fragrances charnelles » empreintes de soft pornographie, « Curiosités sans nom » pour les inclassables.
Certains poèmes racontent une histoire, un enchainement de faits, se rapprochent de la fable tandis que d'autres développent un sentiment, des sensations, des questionnements…
Je retrouve les sujets qui intéressent ou préoccupent les jeunes gens : la sexualité, la solitude amoureuse, le suicide, un certain mal-être, des angoisses existentielles, la vitesse, la mise en danger, les rivalités amoureuses… Mais le jeune poète illustre aussi des sujets d'actualité, comme les attentats du Bataclan et d'ailleurs, les dérives religieuses, les alertes écologiques, le travail des enfants dans certains pays, le chômage, les sans-abri… Il met également en vers des évènements historiques comme les guerres passées ou les Trente Glorieuses. Enfin, il s'épanche sur la difficulté d'écrire et d'être reconnu en littérature.
Anthony Caillet renoue avec les grands thèmes lyriques : l'amour, la mort, la nature... Son lyrisme personnel prend parfois des accents très classiques ; ainsi, il cite le Styx, fleuve des enfers, et le passeur Charon pour illustrer la mort, Eros pour évoquer l'amour ou encore « le sein » pour parler du coeur ; il parsème volontiers ses vers de références mythologiques. Il semble même avoir une prédisposition pour l'alexandrin… Il reprend aussi à son compte le ton exclamatif, les invectives sous forme d'anaphores : « Maudit soient… ! ». Il utilise enfin le procédé de personnification ; ainsi la Justice prend un J majuscule…
J'apprécie moins quand il pastiche Rimbaud, poète sacré dans mon Panthéon personnel… mais je pardonne à ce jeune écervelé… C'est un peu décalé, mais en général, cela fonctionne.
Je suis plutôt intriguée par l'appropriation d'un point de vue féminin, par exemple dans des poèmes qui placent la femme en victime, évoquent des ruptures, des viols, des meurtres, de la violence…
En revanche, les chutes scatologiques, paillardes et l'humour potache me font tout juste sourire : en poésie, je préfère l'impertinence ! Ces poèmes-là ne sont pas les meilleurs du recueil ; ils manquent de justesse, font « flop !».
Le langage est à la fois très actuel, parfois familier, et très soutenu voire recherché. J'avoue avoir ouvert de temps en temps mon dictionnaire notamment pour trouver le sens de « génuine », un adjectif peu usité qui signifie « véritable, exact », d'« abstrus » au sens très littéraire d' « abscons », d'« escoble » employé en lieu et place du mot « balai », d'« oréade » qui désigne une nymphe des montagnes ou encore d'« albène » qui est le nom donné à un tissu… La recherche de rimes ou d'allitérations impose sans doute ce genre de trouvailles…
Certains poèmes sont très académiques sous la forme de sonnets mais la plupart ne respectent pas les règles métriques, dans une écriture urgente et immédiate ; la ponctuation est le plus souvent absente, réduite à des virgules pour marquer le tempo. Anthony Caillet revendique un côté brut, un art spontané, empreint de naturel, sans fioritures inutiles : « Devant le computer, j'aime bien écrire / Avant de publier, même si c'est pour rire / Nul vers n'est retouché, c'est le « first jet » qui compte ».
Il y a parfois une réelle musique : la lecture à haute voix prend alors sens et c'est ce que j'attends, personnellement, de la poésie. le texte peut rester hermétique tant que le vers chante et suggère par les sonorités et le rythme. Malheureusement, ce n'est pas le cas de tous les poèmes… J'ai volontairement choisi de fractionner ma lecture, de l'étaler dans le temps, pour éviter tout effet de lassitude, mais certains textes m'ont laissée de marbre ou ont pu me déplaire même un peu ou m'agacer, notamment dans la partie consacrée à la nature ; de même, dans la partie érotique, seul le premier poème m'a paru digne d'intérêt… Dans sa postface, Anthony Caillet parle lui-même de ses « essais classiques foireux »… et cette humilité me touche et me rassure à la fois.
Ma conclusion sera donc sur un ressenti assez mitigé : un recueil irrégulier dont j'ai indéniablement préféré les poèmes « gorgés d'émotion » parce que j'en ai saisi la sincérité… En écrivant, le poète se livre et le lecteur aussi dans la manière dont il réceptionne ses poèmes.
Tout n'est pas à garder dans cette production… Selon moi, le recueil gagnerait en qualité s'il était un peu plus épuré.
Commenter  J’apprécie         130
Il n’y a pas qu’une seule poésie. Il en existe beaucoup, presque autant que de poètes. Il y a celles qui viennent du cœur, des tripes, qui émergent d’une émotion forte, puis il y a celles, plus calculées, plus froides, qui viennent du cerveau.
Toi, lecteur qui sourit, tu fais mon bonheur encourageant