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Critique de Aquilon62


Quand certaines lectures sont mues par des fils invisibles ... Pour finir par découvrir des villes invisibles.... et vous laissent des marques invisibles....

Parfois, on dit que le, hasard fait bien les choses... Mais est-ce vraiment le hasard... Quand en voulant lire un livre magnifiquement chroniqué, vous l'ouvrez et vous vous retrouvez face à des remerciements, qui comme une coïncidence sont placés une fois n'est pas coutume en début d'ouvrage.... Pour une raison inconnue, ces 3 lignes que voilà : "Je suis profondément reconnaissante pour l'élan que m'ont donné Hans Christian Andersen, J. R. R. Tolkien et Italo Calvino, car sans leurs mots galvanisants ce livre n'aurait pas vu le jour.", vous happent.... Ce livre c'est "Kalpa Impérial" d'Angélica Gorodisher....
Cette citation m'a fait bifurquer vers le livre "les villes invisibles", d'Italo Calvino, et quel livre !!!
Plus d'un mois après sa lecture, et sa relecture, l'empreinte de sa lecture est encore là... Comme une marque invisible....

Italio Calvino écrivit dans le liminaire de son ouvrage, "pourquoi lire les classiques" :

- Les classiques sont ces livres dont on entend toujours dire : « Je suis en train de le relire… » et jamais : « Je suis en train de le lire… » et Les Villes Invisibles est devenu un livre compagnon, que je suis en train de relire, dans lequel j'aime à me replonger ne serait-ce que pour y lire quelques phrases ;

- Sont dits classiques les livres qui constituent une richesse pour qui les a lus et aimés : mais la richesse n'est pas moindre pour qui se réserve le bonheur de les lire une première fois dans les conditions les plus favorables pour les goûter, et ce fut le cas pour Les Villes Invisibles ;

- Les classiques sont des livres qui exercent une influence particulière aussi bien en s'imposant comme inoubliables qu'en se dissimulant dans les replis de la mémoire par assimilation à l'inconscient collectif ou individuel. Et c'est ce qui se passe avec ce livre qui s'insinue et instille en vous, sans forcément s'en rendre compte ;

- Toute relecture d'un classique est une découverte, comme la première lecture. Je viens de le relire pour rédiger cette critique, tout en me disant que cette critique pourrait être réécrite ;

- Toute première lecture d'un classique est en réalité une relecture. Et c'est cette impression inconsciente que l'on ressent à la première lecture, j'ai ressenti cette impression indéfinissable de l'avoir déjà lu ou d'en avoir lu des bribes, peut-être dans d'autres ouvrages ;

- Un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire. Là c'est une certitude car il contient tant de richesses, il recèle tant de niveau de lecture, il peut être lu dans l'ordre, par la classification des villes, par les discours entre Marco Polo et Kublai Khan ;

- Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées (ou, plus simplement, dans le langage et les moeurs), c'est sans doute de là que vient cette impression à la fois étrange et "dérangeante" de l'avoir lu...

- Un classique est une oeuvre qui provoque sans cesse un nuage de discours critiques, dont elle se débarrasse continuellement. Dans ce nuage on pourra opposer complexité et poésie, hermétique et descriptif, rêveur et fantasque, beauté et laideur, tant de sentiments opposés et complémentaires.

- Les classiques sont des livres que la lecture rend d'autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu'on a cru les connaître par ouï-dire. Et effectivement j'en avais entendu parler, mais je ne pensais réellement pas être emmené de cette manière.

- On appelle classique un livre qui, à l'instar des anciens talismans, se présente comme un équivalent de l'univers. Là on peut dire que cette définition correspond à cet ouvrage tant il est un univers à lui seul et à nul autre pareil.

Notre classique est celui qui ne peut pas nous être indifférent et qui nous sert à nous définir nous-même par rapport à lui, éventuellement en opposition à lui. Impossible de rester indifférent face à une telle écriture, une telle lecture. Alors certes cela demande un peu de persévérance et d'abnégation mais la récompense est à la hauteur de l'exigence. Exigence qui s'estompe bien vite une fois le livre fermé.

Un classique est un livre qui vient avant d'autres classiques ; mais quiconque a commencé par lire les autres et lit ensuite celui-là reconnaît aussitôt la place de ce dernier dans la généalogie. La force de cet ouvrage pour qui sait être touché et être  sensible à cette écriture, c'est justement de devenir un classique tout en étant inclassable.

Est classique ce qui tend à reléguer l'actualité au rang de rumeur de fond, sans pour autant prétendre éteindre cette rumeur. Et est classique ce qui persiste comme rumeur de fond, là même où l'actualité qui en est la plus éloignée règne en maître. Ce livre une fois refermé a cette force qu'ont peu d'oeuvres. À savoir, vous marquer, vous rappeler qu'il est là, qu'il devient un de ces livres compagnons pour lequel un sentiment étrange est né lors de sa lecture. Comme une rumeur de fond, comme un sentiment difficilement descriptible

Ce livre ou plutôt ces livres car il s'agit de livres qui deviennent comme des continents imaginaires dans lesquels d'autres oeuvres littéraires peuvent trouver leur espace ; des continents de l'« ailleurs », alors qu'aujourd'hui on peut dire que l'« ailleurs » n'existe plus, et que le monde entier tend à s'uniformiser.
Où presque :
C'était l'aube quand il dit :
— Sire, désormais, je t'ai parlé de toutes les villes que je connais.
— Il en reste une dont tu ne parles jamais.Marco Polo baissa la tête.
— Venise, dit le Khan.Marco sourit.
— Et de quoi d'autre croyais-tu que je te parlais ? L'empereur ne cilla pas.
— Et pourtant je ne t'ai jamais entendu prononcer son nom. Et Polo :
— Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise.
— Quand je te demande quelque chose sur les autres villes, je veux t'entendre parler de celles-ci. Et de Venise, quand je te questionne sur Venise.
— Pour distinguer les qualités des autres villes, je dois partir d'une première ville qui doit rester implicite. Pour moi, c'est Venise.
— Alors tu devrais commencer chacun de tes voyages par le point de départ, en décrivant Venise comme elle est, telle quelle, sans rien omettre de ce dont tu te souviens.L'eau du lac était à peine ridée ; le reflet des rames de l'ancien palais des Song se brisait en réverbérations scintillantes comme des feuilles qui flottent.
— Les images de la mémoire, une fois fixées par les mots, s'effacent, dit Polo. Peut-être ai-je peur de perdre Venise tout d'un coup, si je parle d'elle. Ou peut-être, en parlant des autres villes, l'ai-je déjà perdue peu à peu."

Et pour finir sur une critique toute "calvinesque"
Je songe à cette phrase que nous confie le narrateur de "Si par une nuit d'hiver un voyageur" et qui sied si bien à ce livre « Chaque fois que je tombe sur un de ces petits grumeaux de sens, je dois creuser autour, pour voir si la pépite ne s'étend pas en un filon. Ma lecture n'a pour cette raison pas de fin : je relis et je relis, cherchant chaque fois entre les plis des phrases la preuve d'une découverte nouvelle », et je crois bien que ma lecture de ce livre ne connaîtra pas de fin....

Une chose est certaine, grâce à celle qui se reconnaîtra, j'étais en train de lire un chef d'oeuvre mais je ne le savais pas encore...
Je lui envoie des remerciements, qui sont tout sauf invisibles
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