Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.
Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée de souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas s'isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent, apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde.
Il s' agit de savoir que , sans liberté , nous nous ne réaliserons rien et que nous perdrons,à la fois, la justice future et la beauté ancienne . La beauté seule retire les hommes de l'isolement , la servitude , elle , ne plane que sur
une foule de solitudes .
Mais pour parler de tous et à tous , il faut parler de ce que tous connaissent et de la réalité qui nous est commune .
La mer , les pluies , le besoin , le désir , la lutte contre la
mort , voilà ce qui nous réunit tous .
Le silence même prend un sens redoutable . A partir du moment où l' abstention elle-même est considérée comme comme un choix , puni ou loué comme tel, l' artiste, qu' il le veuille ou non , est embarqué . Embarqué me paraît ici plus juste qu' engagé ..
Le temps des artistes irresponsables est passé .Nous le regretterons pour nos petits bonheurs. Mais nous saurons
reconnaître que cette épreuve sert en même temps nos
chances d' authenticité , et nous accepterons le défi .La
liberté de l' art ne vaut pas cher quand elle n' a d' autre sens que d' assurer le confort de l' artiste . .
J' ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur . Pour retrouver la paix , il m' a fallu, en somme, me mettre en règle
avec un sort trop généreux . Et, puis que je ne pouvais
m' égaler à lui en m' appuyant sur mes seuls mérites, je n' ai rien trouvé d' autre pour m' aider que ce qui m' a soutenu ,
dans les circonstances les plus contraires , tout au long
de ma vie : l' idée que je me fais de mon art et du rôle de
l' écrivain .