« Depuis le siècle des Lumières, l'Occident s'en remet de plus en plus à la raison comme la meilleure (voire la seule) façon d'appréhender le monde dans lequel nous vivons. Les arts et la musique sont les premiers à subir les coupes budgétaires dans l'Éducation. L'efficacité est reine. Pourtant, l'imagination est aussi authentique que n'importe quel fait descriptible. Cette histoire est une tentative pour raviver la magie et le merveilleux de l'expérience humaine, ne serait-ce que le temps de quelques centaines de pages. » Voilà en quelques mots le projet du scénariste et auteur de ce roman graphique, David L. Carlson. En près de 450 pages, il va dérouler dans ce roman graphique la vie de Matt Rizzo dans le Chicago des années 30 et de son fils Charlie. le récit s'ouvre sur la rencontre du père avec son fils : à la mort de sa mère, le jeune Charlie vient vivre avec son géniteur à Chicago. Aveugle suite à un accident de chasse quand il était adolescent, le père, Matt a une vie simple et routinière : vendeur en assurances, son temps libre il le passe à écrire son oeuvre à la manière de
Dante Alighieri dans sa Divine Comédie. L'enfant grandit à l'ombre des grands auteurs classiques et soutient l'entreprise littéraire de son père. Mais les petites frappes en accointance avec la mafia pullulent dans le quartier. Adolescent, Charlie dévie du droit chemin et participe à des cambriolages. Arrêté, il se confronte à son père qui, pour lui faire entendre raison, avoue lui avoir menti sur l'origine de sa cécité. Matt a lui aussi bafoué la loi et s'est retrouvé en prison pendant plusieurs années. Enfermé derrière les barreaux et plongé dans le noir par son handicap, Matt s'enlise dans ses propres enfers. Ne pouvant survivre à la violence de la vie carcérale sans une aide quotidienne, Matt est placé dans la cellule d'un des plus terrifiants criminels de l'époque, Léopold Nathan. Après des débuts difficiles et contre toute attente, les deux hommes vont trouver un terrain d'entente : la lecture et plus particulièrement, celle du poème allégorique de
Dante, Les Enfers. le tâtonnement de Matt à trouver son chemin dans les ténèbres et dans l'enfer de la prison fait résonner pleinement la quête de
Dante dans les différents cercles infernaux. de même, à la manière du poète
Virgile guidant Alighieri, Léopold va éclairer le quotidien de Matt et l'aider à retrouver un chemin de vie au milieu du chaos de ses sentiments. D'un point de vue factuel, ce roman graphique est une biographie de Matt Rizzo. Sur le plan de l'imagination, cette entreprise littéraire et graphique questionne d'un bout à l'autre sur la vérité de l'Homme aux prises avec ses interrogations, ses doutes et ses regrets. Dans cette bataille pour ne pas sombrer, les mots sont les seules bouées capables de sauver du naufrage. Les mots des grands auteurs – Keats, Milton,
Dante - ceux qui consolent, témoignent, apaisent. Mais aussi ceux des personnages du roman, ceux que Matt poinçonne soigneusement en braille, ceux qui épanchent la douleur et qui apportent la résilience. La littérature alliée de l'Imagination est seule capable de conjuguer la dure véracité des faits avec l'entreprise de l'imagination pour rendre compte de la réalité dans sa globalité. Alors, le lecteur accepte de se laisser conduire dans les Enfers de Matt, le père pour tenter de sauver Charlie, le fils. Dans cet univers haché de noir et blanc, où le bruit des mots écrits peut nous étouffer comme le noir d'encre nous engluer, on avance lentement guidé par la voix de Matt sur des chemins de violence et de souffrance avec pour seul horizon, la rédemption. Une oeuvre dense, riche et forte, un roman graphique d'exception vibrant hommage à la puissance salvatrice des mots.