Citations sur Les beaux Draps (32)
Ça suffit pas la misère pour soulever le peuple, les exactions des tyrans, les grandes catastrophes militaires, le peuple il se soulève jamais, il supporte tout, même la faim, jamais de révolte spontanée, il faut qu’on le soulève, avec quoi ? Avec du pognon.
Pas d’or pas de révolution.
Bien sûr on peut pas supprimer, l'usine dès lors étant admise, combien d'heures faut-il y passer dans votre baratin tourbillant pour que le boulot soye accompli ? toutes les goupilles dans leurs trous , que vous emmerdiez plus personne ? et que le tâcheron pourtant crève pas, que ça tourne pas à sa torture, au broye-homme, au vide-moelle ?...
Ah ! C'est la question si ardue... toute délicate au possible. S'il m'est permis de risquer un mot d'expérience, sur le tas, et puis comme médecin, des années, un peu partout sous les latitudes, il me semble à tout bien peser que 35 heures c'est maximum par bonhomme et par semaine au tarabustage des usines, sans tourner complètement bourrique.
Y a pas que le vacarme des machines, partout où sévit la contrainte c'est du kif au même, entreprises, bureaux, magasins, la jacasserie des clientes c'est aussi casse-crâne écoeurant qu'une essoreuse-broyeuse à bennes, partout où on obnubile l'homme pour en faire un aide-matériel, un pompeur à bénéfice, tout de suite c'est l'Enfer qui commence, 35 heures c'est déjà joli.
Les damnés de la Terre d'un côté, les bourgeois de l'autre, ils ont, au fond, qu'une seule idée, devenir riches et le demeurer, c'est pareil au même, l'envers vaut l'endroit, la même monnaie, la même pièce, dans les cœurs aucune différence. C'est tout tripe et compagnie. Tout pour le buffet.
Nous crevons d'être sans légende, sans mystère, sans grandeur. Les cieux nous vomissent. Nous périssons d'arrière-boutique.
Pour finir la révolution faudrait qu'on leur offre le moulin, la petite crécelle à prières, et que c'est tout écrit dessus, les doléances en noir sur blanc, les espoirs, les exigences... comme au Congrés du Lama... Ils tourneraient ça tout en marchant, en processionnant pour que ça tombe... Chacun son petit moulin d'éternelle revendication... ça ferait un barouf effroyable, on pourrait plus penser qu'à eux...
"Je suis l'Homme conscient !... j'ai des droits !... j'ai des droits !..." Rrrrrrr ! Rrrrrrr! Rrrrrr !... "Je suis opprimé !... Je veux tout !..." Rrooouuuu !... RrOOOUUUU !...
Ça devient curieux les soldats quand ça veut plus du tout mourir.
Tout homme ayant un cœur qui bat possède aussi sa chanson, sa petite musique personnelle, son rythme enchanteur au fond de ses 36°8, autrement il vivrait pas. La nature est assez bourrelle, elle nous force assez à manger, à rechercher la boustiffe, par tombereaux, par tonnes, pour entretenir sa chaleur, elle peut bien mettre un peu de drôlerie au fond de cette damnée carcasse. Ce luxe est payé.
Le monde est matérialiste, le plus menu peuple compris. Il croit plus à rien qu'au tangible. C'est comme ça l'Instruction Publique, l'évaporation des Légendes. [...]
C'est la base qu'est vermoulue, qu'étant bâtie sur l'espoir, ils en veulent plus du tout de l'espoir, ça ressemble trop aux courants d'air, ils veulent du "tout de suite et confort".
C'est plus des hommes de Légende, c'est plus des imaginatifs, c'est des hommes de la mécanique. Pascal ça l'étonnait aussi les espaces infinis des cieux, il aimait mieux la brouette.
Washington aimait pas les juifs, mais Roosevelt lui il les aime bien, il est leur homme cent pour cent, il a rien à leur refuser. Il entraîne tout dans la guerre, l'U.S.A., le continent, la Lune.
L'usine c'est un mal comme les chiots, c'est pas plus beau, pas moins utile, c'est une triste nécessité de la condition matérielle.
Entendu, ne chichitons pas, acceptons vaillamment l'usine, mais pour dire que c'est rigolo, que c'est des hautes heures qu'on y passe, que c'est le bonheur d'être ouvrier, alors pardon ! l'abject abus ! l'imposture ! l'outrant culot ! l'assassinat désinvolte ! Ça vaut d'appeler les chiots un trône, c'est le même genre d'esprit, de l'abus sale.