Citations sur Libres d'obéir : Le management, du nazisme à aujourd'hui (63)
Haute croissance, productivité, compétition étaient des notions que les nazis avaient portées à leur point d'incandescence dans leur insatiable course à la production et à la domination. Etre rentable/performant/productif (leistungfähig) et s'affirmer (sich durchsetzen) dans un univers concurrentiel (Wettbewerb) pour triompher (siegen) dans le combat pour la vie (Lebenskampf) : ces vocables typiques de la pensée nazie furent [ceux de Reinhard Höhn] après 1945, comme ils sont trop souvent les nôtres aujourd'hui. Les nazis ne les ont pas inventés -ils sont hérités du darwinisme social militaire, économique et eugéniste de l'Occident des années 1850-1930, mais ils les ont incarnés et illustrés d'une manière qui devrait nous conduire à réfléchir sur ce que nous sommes, pensons et faisons.
Le racisme nazi est eugéniste: il ne suffit pas de posséder le bon sang et la bonne couleur de peau, il faut aussi être pleinement employable comme appareil producteur et reproducteur.
(p. 135-136)
Être rentable / performant / productif et s'affirmer dans un univers concurrentiel pour triompher dans le combat pour la vie : ces vocables typiques de la pensée nazie furent les siens après 1945, comme ils sont trop souvent les nôtres aujourd'hui. Les nazis ne les ont pas inventés - ils sont hérités du darwinisme social militaire, économique et eugéniste de l'Occident des années 1850-1930 - mais ils les ont incarnés et illustrés d'une manière qui devrait nous conduire à réfléchir sur ce que nous sommes, pensons et faisons.
Devons-nous , machines parmi les machines, durcir nos corps comme l'acier dans des usines à sport ? Devons-nous "lutter" et être des "battants" ? Devons-nous "gérer" notre vie, nos amours et nos émotions et être performants dans la guerre économique ? Ces idées-là entraînent la réification de soi, de l'autre et du monde - la transformation généralisée de toute existence, de tout être, en "objets" et en "facteurs" (de production) jusqu'à l'épuisement et la dévastation.
Cette liberté était cependant une injonction contradictoire : dans le management imaginé par Höhn, on est libre d’obéir, libre de réaliser les objectifs imposés par la Führung. La seule liberté résidait dans le choix des moyens, jamais dans celui des fins.
Pour ne pas être dépendant des juges et de leur laxisme supposé, le « mouvement » nazi institue un état d’urgence, voire d’exception, permanent en dotant la police, avec les ordonnances de février 1933, de pouvoirs exorbitants en matière de répression politique.
Le management a une histoire qui commence bien avant le nazisme, mais cette histoire s’est poursuivie et la réflexion s’est enrichie durant les douze ans du IIIe Reich, moment managérial, mais aussi matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre
La déconnexion à l’égard de la nature et de la réalité des productions, de la réalisation de l’homme par le travail, l’évaporation croissante du sens et du plaisir que chacun peut trouver à son occupation salariée, ne laissent à nos contemporains que cette curieuse abstraction de la « structure » et des problèmes qu’elle crée
Pour faciliter le travail des administrateurs, une « simplification » normative (Vereinfachung) est souhaitable, afin de lever les verrous, de libérer les énergies et de prévenir les entraves à l'action. Dans sa grande sagesse, le Führer a d'ailleurs pris, nous rappelle Walter Labs, un décret de simplification de l'administration le 28 août 1939. Tout est dit dans le titre de ce texte, ainsi que dans son article premier : J'attends de toutes les administrations une activité sans relâche ainsi que des décisions rapides, libérées de toutes les inhibitions bureaucratiques .
Discipliner les femmes et les hommes en les considérant comme de simples facteurs de production et dévaster la Terre, conçu comme un simple objet, vont de pair.
En poussant la destruction de la nature et l'exploitation de la « force vitale » jusqu'à des niveaux inédits, les nazis apparaissent comme l'image déformée et révélatrice du modernité devenue folle - servi par des illusions (la « victoire finale » ou la « reprise de la croissance ») et par des mensonges (« liberté », « autonomie ») dont les penseurs du management comme Reinhard Höhn était les habiles artisans.
Assuré de l’autonomie des moyens, sans pouvoir participer à la définition et à la fixation des objectifs, l’exécutant se trouvait d’autant plus responsable – et donc, en l’espèce, coupable – en cas d’échec de la mission