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EAN : 9791021042711
442 pages
Tallandier (06/02/2020)
4.16/5   38 notes
Résumé :
Des millions de pièces d'archives, de photos et de films, des myriades de témoignages et de récits, d'innombrables traces matérielles, tout cela fait assurément du nazisme (1933-1945) la séquence historique la mieux documentée qui soit. Et pourtant la radicalité du mal qu'il représente, le nombre insensé de ses victimes et la violence hors norme de ses bourreaux interrogent sans fin voire engendrent une forme de scepticisme.
Comment les nazis se sont-ils per... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Sous le titre "Comprendre le nazisme", il y a l'idée repoussante de dépasser le phénomène comme isolé de l'Histoire où une sorte de folie barbare se serait emparée de certains hommes et d'y concéder une forme d'indulgence.
D'ailleurs, je pense que comme moi, beaucoup de passionnés par cette période sont taraudés en réalité par le comment. "Comment cela a-t-il pu se produire ?". Il y a quelque chose de l'ordre de l'incompréhensible et un paradoxe certain entre cette question et la mise à distance rassurante qu'irrémédiablement on a moralement, éthiquement, humainement envie de mettre face à eux, ces nazis qui ont commis par voie directe ou indirecte, les pires monstruosités.

L'ouvrage de Johann Chapoutot nous permet à tout le moins de contextualiser le nazisme. Et ce n'est pas rien.
Il crée des ponts entre "les liens qui existent entre racisme, colonialisme et violence de masse et/ou génocide." qui ne sont pas l'apanage de l'Allemagne, mais se constate au contraire de façon très répandue dans toute l'Europe, et même dans tout l'Occident.

Les théories raciales avec ses catégorisations quasi zoologiques et ses hiérarchisations de l'espèce humaine ne sont pas non plus une invention nazie. La raciologie est d'ailleurs dès le 19ème siècle une "science" à part entière...

Bref, ce livre recèle quantité de réflexions ou plutôt donne matière à réflexions de façon totalement inédite pour moi jusque là et ces découvertes se sont révélées fascinantes intellectuellement parlant.

Il reste néanmoins un cap que je n'ai pas franchi : celui de la compréhension à titre purement humain, et je crois avoir perçu que cet historien non plus quand il nous parle de son profond malaise à la naissance de sa fille alors qu'il se penchait sur le massacre d'Oradour : 642 personnes tuées, dont 207 enfants, en seulement 1h30, où les hommes ont été fusillés tandis que les femmes et les enfants ont été enfermés dans une église et brûlés vifs.

Il restera donc toujours pour moi cette énigme du comment un être humain peut basculer dans l'horreur absolue, la criminalité aveugle, même avec toute la rationalisation et la conviction d'agir "pour le bien", même avec toute la contextualisation du monde.

Au rang des bémols, je note que l'auteur n'est pas toujours très accessible dans son propos (du moins l'ai-je ressenti par manque d'érudition sans doute) et force est de constater certaines répétitions.

Outre cela, ce document est véritablement éclairant et passionnant à lire.

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La refondation du droit et des normes sur la « nature » et la « race »

La quête de connaissance nous pousse à « traquer l'intéressant dans le quotidien, le dissonant dans la répétition, l'improbable dans le banal ». Nous cherchons à comprendre et à « comprendre dans et par le temps ». La seconde guerre mondiale semble nous offrir un « monde chaotique et indéchiffrable » et certain·es n'hésitent pas à réduire les complexités et les contradictions en combat du « Bien sur le Mal », un leitmotiv aussi utilisé par les alliés contre le Troisième Reich (« la guerre de la démocratie » contre les fascisme »). Johann Chapoutot nous rappelle que « le 8 mai 1945, ce fut certes la capitulation des nazis, mais aussi Sétif et Guelma », sans oublier la ségrégation raciale dans l'armée étasuniennes qui combattait le nazisme…

Un livre pour interroger et comprendre, un recueil de textes, d'entretiens, de conférences publiques, d'émissions de radio… le ton particulier de l'oral et une grande lisibilité.

En avant-propos, l'auteur évoque, entre autres, la longue tradition de judéophobie, le rapport panique à la monnaie, la réécriture et la réinterprétation de l'histoire de l'antiquité, une agglomération et une condensation de thématiques qui ne furent pas qu'allemandes. « C'est de ce terreau culturel fécond qu'a été induit un système normatif, une normativité proprement nazie, qui a permis aux bourreaux et aux criminels de considérer que ce qu'ils perpétraient était non seulement permis, mais encore souhaitable, sinon nécessaire. Les crimes nazis furent indissociables d'une « révolution culturelle », d'une refondation normative qui arasait les normes juridiques et morales communes pour en proposer d'autres ». Rien ici d'inéluctable, ni l'arrivée au pouvoir, ni le fait d'un devenir criminel. L'auteur indique que s'« interroger sur l'homme nazi implique de s'intéresser aussi à ceux qui n'en furent pas ». Des « actes exorbitants » et « les liens entre les idées nazies et les crimes perpétrés entre 1933 et 1945 »

Je n'aborde que certains éléments.

Une vision du monde, une vision de l'histoire, le terme long de la pensée nazie, une relecture et réécriture du passé, l'opposition construite entre le nordique et le méditerranéen, l'annexion de la Grèce et de Rome, la valorisation des « Germains », l'homme nouveau comme « corps de la renaissance de la race », les statuaires et la saturation de l'espace public, la conquête du monde et du temps, l'immortalisation par la mémoire, « la mémoire d'une sortie de scène absolument fracassante »…

Si Mein Kampf était « un pot-pourri d'idées au fond très banales et en circulation à cette époque », leurs mises en récit, en histoire renouvelée, contribuera au façonnage d'« une autre culture ». Des tribus germaniques au Reich de mille ans. Et une place particulière pour le droit, « le rétablissement d'un droit germanique supposé », non pas un droit abstrait et écrit mais un droit concret et vivant, « la pure intuition raciale de l'homme de bonne race », la loi fantasmée de la nature. Et si le sang de la race deviennent le centre de l'histoire et du futur, alors le plus grand des malheurs est « le métissage et le chaos racial généralisé » et lorsque l'appropriation de l'espace le rendra possible, il y aura « une croisade de purgation, une croisade médicale contre le bacille, le bacille juif en l'occurence ». L'auteur parle aussi d'une conception de la révolution comme retour au point d'origine, d'une forme de nostalgie ou de quête, du ruinisme, « la ruine est déjà prévue, voire désirée »…

Je souligne les passages sur l'occupation de la Grèce, en relation avec la vision fantasmagorique du passé nordique de la Grèce et de la « déception » face à ces méditerranéen·nes, qui se traduira par des politiques d'une rare violence, des politiques qui laisseront des traces jusqu'au XXIème siècle.

Le renforcement et la radicalisation de la contre-révolution, la racialisation de l'ensemble des relations sociales, le postulat strictement particulariste – « race nordique ou peuple allemand » – la réfutation de l'universalisme, le concept de race « comme principe et comme fin de toute réflexion », l'humanisme et les Lumières comme armes inventées par les ennemis « pour affaiblir l'humanité nordique ». Johann Chapoutot indique, me semble-t-il à juste titre, que « ce travail de critique et refondation intellectuelle n'est ni secondaire ni hypocrite ». Il s'agit bien de créer « un univers mental nouveau ». Il ajoute, « les acteurs du nazisme furent des hommes, et les hommes évoluent généralement dans un univers de sens ». Les nazis ont construit une autre vision du monde, conçus des réponses aux questionnements liés aux évolutions géopolitiques et sociales. L'auteur revient sur le mouvement pangermaniste, le mouvement völkisch, les traités imposés, par les vainqueurs, la « grande catalyse qu'a constitué la Première Guerre mondiale », l'émancipation des Juifs par la Révolution française et son extension territoriale, « Cette émancipation a fortement déplu à ceux qui définissaient la nation dans les termes de la biologie et du racisme », la judéophobie et l'antisémitisme, le darwinisme social, la lutte pour « la survie biologique », l'imaginaire du complot, les accentuations lors de la violence crise financière après 1929, « le complot semblait confirmé ; l'urgence à agir était indéniable ».

Je souligne le chapitre sur le nazisme et l'Occident, les rappels sur le racisme et le colonialisme, les formes de normalités européennes et occidentales, la place des sciences dites naturelles, les sciences et l'ordre des dominations, les légitimations de l'ordre social et de ces mêmes dominations, les dimensions missionnaires ou messianiques jusque dans le projet colonial, Jules Ferry à la fois « l'homme de la scolarisation de masse et l'homme de la colonisation », la ségrégation raciale aux Etats-Unis, la colonisation du Congo par les Belges comme « un acmé de barbarie » et le rôle du Roi des Belges, l'animalisation des populations colonisées, les hiérarchies inventées (par exemple entre Tutsi et Hutu)…

La « colonisation » n'est pas que lointaine (je rappelle les conséquences effroyables de la colonisation anglaise de l'Irlande). Les nazis parlent d'espace vital – Lebensraum – une forme de translation de termes des sciences naturelles vers les sciences dites humaines. L'action politique des nazis – la colonisation par exemple – est présentée comme « nécessité propre au jugement scientifique ». Ils ont des normes, des catégories, un code, un langage, qui ressemblent énormément à ceux développés ailleurs où règnent, en particulier, la violence, des affrontements au nom des Religions, ou des génocides pour utiliser une notion plus contemporaine…

La seconde partie du livre est consacré aux normes du nazisme, la construction d'un « impératif catégorique », la radicalisation d'un ethno-nationalisme préexistant, l'égalité comme absurdité et l'inégalité des individu·es et des races exacerbée et naturalisée, l'anti-intellectualisme, la primauté de l'« instinct originel, animal, et primaire », le rétablissement d'un « droit oral, instinctuel, non écrit », la communauté du peuple comme « principe et fin »…

Il me semble important, comme le fait l'auteur, de refuser la classification des nazis comme infra-humains, arriérés, barbares ou fous. Il importe de comprendre la construction de la tolérance à la violence extrême, la modernité de cet extrémisme, ce qui est dit dans les cérémonies très ritualisées, cette invention signifiante du « faire revenir au jour quelque chose qui était recouvert », le travail de persuasion de la population allemande, le maillage du territoire par des associations, la « gestion » des éléments de crise, « Les nazis arrivent donc avec des solutions certes radicales mais sur le fondement d'idées qui sont d'une part très banales et d'autre part audibles dans le cadre d'un contexte et d'une conscience de crise ».

L'auteur parle aussi, de « biotope dilaté », des conditions de possibilité du crime ultime, de processus de radicalisation cumulative, des assassinats et du génocide des personnes considérées comme juives. Il se penche particulièrement sur « La loi du sang », le sang considéré comme sacré – celui du peuple germanique -, les Lesbensborn, la stérilisation obligatoire pour les malades héréditaires, le droit comme biologie appliquée, l'opération T4… Les nazis ne sont pas des ovni hors-sol, « ce sont des gens qui sont bien de leur temps et de leur époque, c'est-à-dire l'Occident social-darwinien, l'Occident raciste et passionné de médecine et de biologie depuis les années 1850 ». Je souligne le chapitre « A quoi peut ressembler un nazi ? ».

Dans la troisième partie, Johann Chapoutot aborde à la fois l'homme nazi et « ceux qui n'en étaient pas ». Il analyse comment Adolf Hilter est devenu Hitler, Heinrich Himmler « le crime et l'intimité », la construction du système concentrationnaire. Il me semble important de souligner les possibles du refus et leurs réalités, ceux qui n'en étaient pas, « la résistance allemande à Hitler ». Une invitation aussi à relire Victor Klemperer et à étudier les femmes et les hommes, les groupes qui agirent dans des conditions d'extrêmes difficultés.

L'auteur revient sur la République de Weinar, le Traité de Versailles, les assassinats politiques, l'endettement et ses effets, le choc de la crise de 1929, les éléments qui rendirent possible mais non inéluctable le nazisme.

Auschwitz-Birkenau, les traces en partie effacées par les nazis, « C'est un lieu illisible, parce que c'est un lieu d'effacement d'une partie de l'humanité qui n'était pas considérée comme humaine par les bourreaux et les criminels », l'effacement de la vie d'adultes et d'enfants, le traçage d'une limite entre l'humain et le non-humain, « bel et bien un logos, un discours organisé qui est un projet politique de destruction de la Révolution française ainsi que de son héritage, destruction fièrement revendiquée », les nazis hors d'Allemagne, Ferdinand Céline et Robert Brasillach par exemple, le racisme des nazis et les racismes des Etats démocratiques, « une forme de continuum, de familiarité idéologique et culturelle », la colonisation légitimée par le droit international, les populations de l'Est vues par les nazis, les Slaves comme sous-hommes, les Juifs hors classification et hors nature, l'obsession nataliste conjuguée à l'obsession eugéniste, la race et le complot, la protection du sang allemand, l'eschatologie nazie…

L'historien et l'histoire. Les nazis comme êtres humains « comme tous les êtres humains, évoluent dans un univers de sens et de valeurs, ils entrent dans la juridiction de l'historien, et donc on peut faire de l'Histoire, c'est à dire comprendre et non pas juger ». le jugement est le domaine des femmes et des hommes, des citoyen·nes. L'auteur parle de chronologie, « La « Solution finale » n'est finale dès le début », de contextualisation, « Ici, il s'agit de montrer que le nazisme n'est une exception barbare ou sanglante dans le contexte de la culture occidentale européenne. Une exception, oui, par la mise en pratique dans son extension et dans son intensité, mais, pour ce qui est des idées qui gouvernaient la représentation du monde et qui donc légitimait les actes, ce sont des idées très banales ».

Parmi les autres sujets traités, j'indique, entre autres, le nazisme en acte, Oradour et les chiens de l'enfer, les valeurs dans le Troisième Reich, l'historicité du travail de l'historien·ne, les visions du monde et la sidération, le contrôle de la jeunesse, l'antisémitisme nazi, les Einsatzgruppen, la Wehrmacht, la « Solution finale », le masquage des « traces d'un crime inouï pour pouvoir négocier une possible alliance », la mémoire, les débats contemporains, la peur de la liberté…



Comment ne pas mettre en relation un grand nombre de points de la construction du récit nazi avec d'autres constructions socio-politiques, et pas uniquement dans les régimes totalitaires ou dictatoriaux ? Comment ne pas regarder les réécritures de l'histoire au nom de mythes fondateurs, la haine du « métissage », la délimitation « organique » des autres, le droit du sang, la soi-disant « culture » comme barrière aux barbares, le refus de la liberté et de l'égalité, la naturalisation des rapports sociaux, l'invention de passés, etc. ?

Il importe de comprendre les spécificités d'une organisation socio-politique, de souligner les points communs et les ruptures d'avec d'autres rapports socio-culturels. Ce livre participe bien de la volonté de comprendre le nazisme. Et il nous invite aussi à regarder dans le miroir de nos sociétés, les visages, les constructions, les prismes et les dénis qui peuvent permettre à l'« exceptionnel » de transcroître en « barbarie » courante.

Penser qu'il suffit de nommer les dictatures en oubliant l'impact des politiques néolibérales, de vanter la « démocratie » en faisant fi des rapports d'exploitation et de domination, de se contenter de l'histoire des vainqueurs et taisant leurs crimes, d'oublier la colonialité du pouvoir et ces déclinaisons sexistes et racistes qui vérolent nos sociétés… ne nous aide pas à penser des alternatives crédibles et majoritaires aux ordres contre-révolutionnaires et à leurs constructions socio-culturelles.

Les idéologies colportées chaque jours par des éditocrates, dont les ressorts sont le sensationnel, des formes actualisées de darwinisme social, l'Histoire comprise comme « une nécessité incoercible », le refus de l'égalité au nom de l'équité, l'invisibilisation des femmes dans la langue et les analyses, la liberté réduite à celle du marché et des marchandises, le culte du travail et la méritocratie, la défense du droit du sang, la nation plutôt que la citoyenneté, la concurrence en lieu et place de la socialisation, le complotisme, etc. concourent à solidifier des fondements spécifiques qui ancrent des possibles réactionnaires contre les puissantes espérances de l'égaliberté, du pluriversalisme… Il ne suffit donc pas de dire que « le ventre de la bête est encore fécond », il faut en traquer les bases institutionnelles construites et reconstruites dans nos propres sociétés. Comprendre les dictatures, les colonialismes, les traites esclavagistes, les nationalismes exclusifs, les stalinismes, les fascismes, le nazisme ici, nous aide à concevoir des clés pour réfléchir, non seulement à la construction des passés, mais aussi à nos possibles devenirs.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Je vais faire une métaphore (quand les livres sont exceptionnels j'utilise toujours une métaphore)
Avec ma précédente lecture "Hitler" de Johann Chapoutot et Christian Ingrao, je pensais que mon ignorance sur le nazisme était un lac.
J'ai déjà beaucoup appris, surtout que comme un lac d'eau claire le propos fut limpide.
Avec ce présent livre, je découvre que mon inculture et mon ignorance sur le nazisme sont plutôt de taille océanique !

Je vais vous donner un exemple avec les relations Allemagne - Grèce dont les impacts s'étendent la question de la dette aujourd'hui.

> À la Renaissance et au XIXe siècle, quand le sentiment national prend forme, la France s'inspire de Rome. le référent culturel, le modèle antique prestigieux, c'est Rome. le français, c'est du latin. le catholicisme est d'une certaine manière la prolongation de l'Empire romain. Les réformateurs allemands, emmenés par Luther, combattent Rome la catholique, mais aussi la Rome impériale. Au XIXe, quand la nation allemande émerge, on se tourne naturellement vers la Grèce

> La Grèce représente la pensée, l'authenticité, la véracité ultime.

> Pour Hitler, c'est très simple quand il lance : « Nous les Germains, nous n'avons pas de passé, ou notre passé ce sont les Grecs. » Selon lui, ce sont des Germains qui auraient migré du nord vers le sud. Platon est un Germain, intronisé ultime vigie de la civilisation germanique."

> Hitler décide, en avril 1941, d'envahir la Grèce. Les journaux allemands décrivent un pays et une réalité bien différents de ce qu'ils imaginaient. Comme d'habitude, les journalistes entonnent le chant de la victoire, mais ils constatent que la Grèce ne ressemble pas à ce qu'ils croyaient. Ils pensaient découvrir des Aphrodite et des Apollon à chaque coin de rue et ils découvrent des « Levantins crépus ».

> La Méditerranée est décrite comme une zone irrémédiablement dégénérée d'un point de vue biologique.

> les Allemands vont quand même envoyer des expéditions anthropologiques de la SS dans la région de l'antique Sparte, pour photographier les gens dans les bistrots et se réjouir de trouver, ici ou là, un grand blond aux yeux bleus. Ils cherchent une trace de la présence germanique des origines. Cette déception va se traduire par une occupation absolument terrible, fondée sur un mépris raciste épouvantable et la naissance d'une haine réciproque qui reste vivace.

> Plusieurs gouvernements grecs ont réclamé après la guerre des réparations non seulement pour les massacres commis, mais aussi pour les emprunts forcés, les pillages, les prédations, etc.,

> le coût de l'occupation en Grèce – humain, culturel, économique – est incomparable avec ce qui a pu se passer en France. Disons que ce qui s'est passé en France, en mai-juin 1944, avec Oradour-sur-Glane, Dortan, Maillet, et tous ces villages martyrs, a été une exception au fond, au moment des grandes difficultés issues du débarquement, mais cela a été la règle en Grèce pendant toute l'occupation de 1941 à 1944.

> il y a eu le plan Marshall, mais aussi cet accord de Londres, en 1953, qui est une annulation des dettes de l'Allemagne.
> [...] participent, évidemment, à cet accord tous les créanciers de l'Allemagne de l'époque, et notamment la Grèce, qui, pour des raisons politiques et géostratégiques, voulait éviter que l'Allemagne, par misère sociale, ne tombe dans le giron communiste ; c'est la logique du plan Marshall."

> La Grèce fait l'effort d'annuler toutes ses créances à l'égard de l'Allemagne. Ce geste magnifique a permis – les Allemands doivent s'en souvenir aujourd'hui, tout de même – la reconstruction de l'Allemagne et ce supposé miracle économique dont les Allemands sont si fiers.

Édifiant non ?
Comment comprendre la mauvaise réception en Grèce des injonctions allemandes sur la dette de nos jours sans connaître l'histoire ?
Et ceci n'est contenu que dans deux chapitres du livre !
CHAQUE chapitre fut une découverte considérable.

Quelques autres thèmes :

* On connaît le conflit franco-allemand, mais quid de la Révolution française et de ses idées de droits de l'homme et d'universalisme ?
* La pensée nazie, la vision du monde ?
* le droit nazi. On n'imagine pas un état de droit n'est-ce pas ? Pourtant les juristes furent une part importante de l'appareil étatique nazi.
Lisez le livre pour comprendre la nature de ce paradoxe et comment les juristes ont influencé le fonctionnement de l'appareil nazi.
* L'"inéductabilité" du régime nazi
* L'utopie nazie. Sujet tellement important que cela sera approfondi avec ma prochaine lecture : "La promesse de l'Est. Espérance nazie et génocide (1939-1943)" de Christian Ingrao
* Les "valeurs" nazies
* La jeunesse
* et bien plus

Le livre est une sorte de résumé / condensé des recherches / livres de Johann Chapoutot dans tous ces domaines et bien plus.
Il se termine sur des notes plus personnelles du rapport de l'historien face à son sujet d'étude, face à la société actuelle et nos comparaisons "c'est comme les années 30".

Le propos est clair, structuré, éclairant, passionnant.
La balance entre synthèse et détail est très bonne.
Il y a même des anecdotes pour illustrer le propos (exemple : le journal intime de la fille de Heinrich Himmler)

## Petits bémols sur la forme uniquement

* Il y a forcément un peu de répétition : il y a des articles et des retranscriptions d'interview
On sent quand même que le contenu est organisé pour éviter les propos redondants
* Il y a des interviews lors d'émissions Johann Chapoutot est extrêmement structuré. Il expose toujours clairement ses idées et résultats de recherche.
* Lors des émissions, des extraits de films ou radiophoniques ont été passés
** pas de lien pour consulter le média (en eBook cela aurait été un plus !)
** Pas de retranscriptions de certains dialogues des dits passages. Dialogues qui sont commentés juste après

## Conclusion

Je ne savais RIEN.
J'ai appris des chronologies, vu des documentaires (j'en mesure maintenant la "qualité").
Lisez ce livre (ou "Hitler"). il y a en effet un point important qu'il vous faut saisir :

Le nazisme était-il vraiment le monstre "hors-sol" ou plutôt "Hors époque" que certains dépeignent ?
La réponse est importante pour nous européens, occidentaux, humains ...
Et cette réponse vous la trouverez dans ce livre (me voilà bien péremptoire, mais j'en suis convaincu)

Je vous laisse.
Je suis impatient de lire "La promesse de l'Est. Espérance nazie et génocide (1939-1943)"
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Johann Chapoutot fait partie des historiens qui ont beaucoup étudié le nazisme. Mais sous un angle particulier, celui de comprendre.

Ce livre, sorti en 2018 est un recueil d'interviews, articles de revues ou journaux et conférences. Malgré quelques redits, inévitables dans ce type de texte, c'est un livre très intéressant puisqu'il donne une vue d'ensemble des travaux de Chapoutot dans ce domaine. Pour ceux qui n'ont lu que quelques livres, celui-ci établi la cohérence entre eux.

Rappelons ces textes principaux, dans l'ordre chronologique :

* le national-socialisme et l'antiquité - publié en 2008, c'est le contenu de sa thèse de doctorat. Ici les nazis cherchent les origines de la race aryenne qui, pour eux, vient des peuples nordiques, avec un "détour" en Grèce et Rome. Donc, ils s'approprient de ces cultures.

* La loi du sang. Penser et agir en nazi - publié en 2014, c'est le contenu de sa thèse HDR (Habilitation à diriger des recherches). Il s'agit d'identifier les causes profondes, surtout liés à la race et à l'héritage de l'antiquité qui ont été inculqués aux Allemands.

* La révolution culturelle nazie - publié en 2017. Ce livre complète les deux précédents. Il analyse le nazisme comme une révolution culturelle, ou plutôt un retour aux sources de la race aryenne, des us de leurs ancestraux tels l'abolition de la monogamie imposée par les judéo-chrétiens, conception du droit comme étant ce qui est dans l'intérêt du peuple allemand, ... Chapoutot démontre dans ce livre que les nazis n'étaient pas des barbares ignorants. Une bonne partie de cette révolution culturelle a été conçue par des universitaires qui ont souvent détourné des notions de droit ou de philosophie (Kant, en particulier Kant).

Les chapitres de ce livre couvrent surtout ces trois sujets accordant une cohérence à l'ensemble, surtout si on les a déjà lu. Il ne s'agit pas juste d'une répétition.

Un complément dans le même thème est "Libres d'obéir" - qui traite de l'application de méthodes de management de personnes après la guerre. On parle surtout de Reinhard Höhn, qui a continué ses activités jusqu'aux années 90.

Ce ne sont pas les seuls livres écrits par Chapoutot sur le nazisme. Il y en a d'autres, avant et aussi après.

Il n'est pas question, dans ces livres, des barbaries commises par les nazis, dans le sens où il ne rentre pas dans les détails des faits.. Johann Chapoutot prend de la hauteur et essaye de comprendre, dans ces trois livres, ce que c'est le nazisme et comment il a pu exister. Aussi, certaines parties sont analysées d'un point de vue philosophique, surtout dans le troisième.

A retenir un chapitre "Peut-on faire l'histoire du nazisme ?". Chapoutot explique, dans ce chapitre, explique l'intérêt de continuer à étudier le nazisme mais surtout il explique le métier et la démarche de l'historien, fondée sur les travaux de Marc Bloch : établir la chronologie des faits, les contextualiser et les comprendre sans les juger. Par ailleurs, cette conférence se trouve sur youtube, que je recommande fortement à ceux qui pourraient s'intéresser.
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Une lecture dont on ne sort pas indemne et pourtant indispensable.
Le point négatif de l'ouvrage est son point fort : il s'agit d'un recueil d'interviews et d'articles donnés par l'auteur sur ce qui a été pendant toute sa vie (mais il est en train d'opérer un virage en s'intéressant aux années ante 1914 de l'Allemagne) son principal sujet d'études, le nazisme.
Le point négatif est que l'on retrouve d'un chapitre à l'autre des thématiques développées précédemment: le rapport à l'Antiquité (eh oui, les Romains, les Grecs, les Perses étaient des Germains. Personne ne le sait, sauf les nazis) , l'idéologie biologique qu'est le nazisme etc. Cela est un peu répétitif si on le lit d'une traite. Après, il s'agit d'un sujet lourd donc on peut être tenté de le lire par petits bouts, auquel cas cet aspect négatif devient positif puisqu'il remet alors en mémoire ce qu'on a lu auparavant.
Johann Chapoutot réinscrit le nazisme dans son contexte historique et il est navrant de constater à quel point cette idéologie est une réponse aux problèmes engendrés par la modernité à une Allemagne défaite par la Grande Guerre, par la crise de 1929, par sa transition industrielle et démographique extrêmement rapide.
Est-ce que le nazisme est exceptionnel, une anomalie dans les années 1930? pas vraiment:
-Les nazis ont réécrit l'histoire du monde pour faire passer leur idéologie. Tout le monde le fait (récemment, Poutine et Monsieur Z. s'en chargent très bien - cf. Laurent Joly...)
-Les nazis sont racistes : dans les années 1930 toutes les puissances coloniales le sont et le Ussas jouent la carte de la ségrégation raciale
-Les nazis sont antisémites : euh... les puissances citées ci-dessus ne sont pas vraiment des exemples de tolérance, n'est-ce pas? La Shoah n'aurait pas eu lieu en Europe sans la complicité des gouvernements des pays occupés.
Bref, je ne vais pas réécrire le livre mais sachez que l'auteur réinscrit l'histoire du nazisme dans TOUTE sa chronologie et cela en éclaire vraiment la compréhension.
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critiques presse (1)
NonFiction
05 novembre 2018
Comprendre le nazisme ne doit pas être vu comme une « somme » complète et définitive sur l'étude de ce phénomène qui toucha l'Allemagne et l'Europe dans les années 1930-1940. Il s'agit ici plutôt d'aborder cette question complexe par le biais d'articles, de retranscriptions d'interviews ou d'émissions radio.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Le cas états-unien maintenant. Il s'agit (...) de maintenir, par la violence s'il le faut, un ordre social fondé sur l'esclavage, puis, après 1865, sur l'exploitation quasi servile d'une main-d’œuvre soumise à la ségrégation. Cela implique et justifie l'emploi de la violence civile et/ou militaire, policière en tout cas, sur le territoire des États-Unis, mais également la tolérance vis-à-vis des coutumes de domination des anciens maîtres sur leurs anciens esclaves : le passage à tabac, la mort violente par lynchage... Ce n'est pas forcément un crime puni par le code pénal américain que de lyncher un Noir qui aurait voulu prendre la main d'une Blanche, au contraire c'est rétablir un ordre naturel sain d'une société qui doit être préservée comme doivent être préservées la séparation des races, la pureté des sangs voulues par le Créateur. Le juriste James Whitman a bien montré ce que les nazis devaient aux Américains et aux lois Jim Crow.
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« Comment se fait-il que les Allemands aient pu gober tout cela ? » Tout simplement parce que les idées et les solutions que les nazis apportent sont très banales dans le contexte de l’époque. Les nazis sont des racistes comme beaucoup de monde en Occident, ce sont des antisémites comme nombre de leurs contemporains, ils sont socio-darwinistes, colonialistes, capitalistes, militaristes, nationalistes…, comme pas mal de monde en Occident à leur époque. Ils arrivent avec un discours très cohérent, une Weltanschauung très cohérente qui relit l’Histoire et interprète le présent en décelant tout ce que ce présent révèle du complot historique contre la race nordique, et ils proposent une sortie de crise avec la vision d’un avenir radieux qui se traduirait par la construction d’un espace colonial, d’un biotope (Lebensraum) colonial à l’Est, lieu du Reich de mille ans ; ce Reich de mille ans qui n’est pas qu’un slogan, mais un véritable programme et un projet très pensé, très élaboré. Les nazis arrivent donc avec des solutions certes radicales mais sur le fondement d’idées qui sont d’une part très banales et d’autre part audibles dans le cadre d’un contexte et d’une conscience de crise.
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Le thème de la "banalité du mal" est apparu à une époque où l'on a vu Eichmann, lors de son procès à Jérusalem, où l'on s'est étonné de ne pas voir un monstre mais un petit greffier falot et obéissant. C'est d'ailleurs le rôle qu'Eichmann jouait à Jérusalem pour sauver sa peau; ce n'était qu'un rôle. Lorsque l'on entend Eichmann et qu'on le lit, ailleurs que devant ses juges, il assume parfaitement la radicalité de ce qu'il a fait et regrette juste d'avoir assassiné seulement six millions de Juifs et non pas onze ou douze, comme il le dit. Himmler aussi assume totalement. Ce sont des criminels radicaux, mais il y en a eu bien d'autres. L'expression de " banalité du mal" est devenue une sorte de pont aux ânes pour expliquer cet apparent mystère de quelqu'un qui signe "mille bisous, ton petit papa" et qui, par ailleurs, diligente la "Solution finale".
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(p. 161)
Jean Lebrun : Vous avez publié nombre de livres sur le nazisme, le dernier chez Gallimard, La Loi du Sang. On vous y voit à la critique rongeuse des souries, des centaines et des centaines d'articles, des centaines et des centaines d'ouvrages que vous êtes bien le seul de votre génération, au moins en France, à lire, imprimées en caractères gothiques de surcroît.

Johann Chapoutot : Une littérature grise, une littérature abandonnée que l'on n'a jamais prise au sérieux parce que, quand on étudie le nazisme ou d'autres phénomènes violents, comme le fascisme par exemple, on part du principe que l'on a affaire à des brutes aux cheveux ras et aux idées tout aussi courtes et que, dès lors, leur production intellectuelle est inexistante. Or cette production intellectuelle est une structure et peut être parfois, d'ailleurs, une matrice. En tout cas, un indice.
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Tout cela nous permet donc d’éclairer le nazisme, mais aussi de l’intégrer à une forme de normalité européenne et occidentale et non plus seulement de le considérer comme une exception insondable, parfaitement incompréhensible, mais au contraire de le resituer dans une tradition. Par ailleurs, si cela nous permet, d’une part, de trancher le cas de l’exceptionnalité ou de la banalité du nazisme, cela nous permet également de comprendre d’autres phénomènes génocidaires ou de violence de masse ayant eu lieu XXe siècle, et parfois bien éloignés des terrains européens, comme dans le cas du Rwanda. Nous allons voir qu’au Rwanda on a assisté à la mise en pratique de schèmes, de concepts et catégories idéologiques forgés par les Européens au XIXe, importés en Afrique puis repris par les acteurs sur place.
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Vidéo de Johann Chapoutot
Table ronde, carte blanche aux Presses universitaires de Lyon Modération : Julien THÉRY, directeur scientifique des Presses universitaires de Lyon Avec Johann CHAPOUTOT, professeur à Sorbonne Université, Éric VUILLARD, écrivain, lauréat du Prix Goncourt 2017
À l'occasion de la réédition des écrits politico-théologiques majeurs de Thomas Müntzer (1490-1525) dans une magnifique traduction signée Joël Lefebvre, les Presses universitaires de Lyon invitent à découvrir ce penseur méconnu en France, alors qu'il fut l'un des principaux artisans de la Réforme protestante. Prédicateur de talent, partisan de Luther de la première heure, Müntzer prend toutefois rapidement ses distances et assume des positions bien plus radicales : il prône la fin de l'oppression culturelle entretenue par les doctes et les clercs, la fin de l'oppression politique instituée par les princes, la fin de l'exploitation économique dont profitent les seigneurs. Il rejoint bientôt un mouvement de révolte, qui donnera naissance à la “guerre des Paysans”, et devient l'un des chefs de la rébellion, appelant à une révolution à la fois spirituelle et matérielle. Rapidement capturé, il est torturé puis exécuté. À travers la traduction de sept textes fondateurs et d'une vingtaine de lettres, Joël Lefebvre met en lumière l'intérêt à la fois philosophique, historique et linguistique de l'oeuvre de Thomas Müntzer. Les préfaciers de cet ouvrage, l'historien spécialiste de l'Allemagne Johann Chapoutot et l'écrivain Éric Vuillard, auteur d'un livre récent inspiré par l'action de Müntzer, évoqueront la portée de ses écrits dans une discussion animée par Julien Théry, directeur scientifique des Presses universitaires de Lyon et historien des relations entre religion et politique.
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